Quo Vadis (Mervyn Leroy, Anthony Mann, U.S.A, 2h51, 1951)

En 1620, à bord du désormais célèbre Mayflower, des centaines de puritains persécutés par un régime hostile à leur obédience fuyaient l’Angleterre. Ils traversèrent ainsi l’Atlantique pour s’installer sur le ‘’Nouveau Continent’’, présumé vierge, tel un nouvel Eden. Ou plutôt un nouveau pays de Canaan. S’identifiants aux Juifs d’Égypte prenant la route avec Moïse, cela allait avoir une empreinte indélébile sur le peuple issu des colonies.


En effet, la religion chrétienne, protestante, occupe une place centrale dans la manière dont se constituent les communautés au sein des colonies américaines. 160 ans plus tard, après avoir viré l’influence du pouvoir royal britannique sur les colonies établies, ces dernières allaient s’associer pour former une nation, pour se doter en 1787 d’une Constitution. Elle est pour eux de nature divine, ce qui allait avoir une marque indélébile sur l’identité nationale.


Alors, quel rapport avec ‘’Quo Vadis’’ ? Et bien aucun. Si ce n’est que le film de Mervyn Leroy (sur lequel le légendaire Anthony Mann a un peu œuvré) est une production américaine dans tout ce qu’elle peut avoir de plus patriotique. Touchant directement le cœur du sentiment national. Pourtant l’intrigue se situe entre 54 et 68 sous le règne de l’empereur fou Néron, symbole de la décadence romaine.


Pourtant, rapidement tout ce que le récit met en place fait directement échos aux origines du peuple américain. Du moins, une vision fantasmée de ces origines, déclinée à travers le prisme de la naissance de la religion chrétienne, l’axe principal de ‘’Quo Vadis’’. Il est important de noter également que le film est adapté du roman éponyme de 1896, par l’auteur polonais Henryk Sienkiewicz. Qui reçut pour l’occasion le prix Nobel de littérature. Rien au départ ne prête à ce que l’histoire soit un écho à celle des États-Unis.


Il est en effet possible de percevoir facilement que chez les Chrétiens persécutés par le pouvoir impérial, il y a du puritain brimés fuyant le royaume d’Angleterre. Comme le feront ’’The Robe’’ en 1953, ainsi que sa suite en 1954, ainsi que ‘’Barabbas’’ en 1961. La branche conservatrice d’Hollywood crée dès lors un lien étroit entre le récit national, les évènements de Judée, la mort du Christ, et les évènements ultérieurs se déroulant à Rome.


Les bases même de la nation américaine étant bâties sous les auspices de la chrétienté, par des dévots fuyants la décadence européenne, afin de pouvoir œuvrer à l’établissement d’une société parfaite, sur une terre immaculée. Pour les Chrétiens de Rome, la tâche fût ardue, puisque le pouvoir en place fut peu enclin à accepter le dogme de cette religion monothéiste.


Pourtant, dans la société romaine de l’époque cohabitent des milliers de divinités, la plupart issues du panthéon grec, et d’autres assimilées par les différentes conquêtes. L’Empire Romain étant une civilisation cosmopolite, il s’y croisait tout genre d’obédience. Même des cultes monothéistes, comme celui de Mithra.


Cependant, cette tolérance est perçue à postériori comme un égarement des enseignements de Dieu transmis par le Christ, ce qui expliquerait la chute de Rome, illustré dans ‘’Quo Vadis’’ par le grand incendie de 64. Alors que Néron joue de la lyre en regardant les flammes engloutir sa cité. Une purification quasi divine qui n’est pas sans rappeler le sort des villes décadentes de Sodome et Gomorrhe. Même si la chute de l’Empire ne devait pas se produire avant encore 4 siècle. Mais pour ça il y’a une explication : ‘’Hollywood’’.


Péplum grandiose, d’une durée fleuve, avec un acteur star, le très conservateur Robert Taylor, membre de la ‘’Motion Picture Alliance for the Preservation of Americain Ideals’’, très chrétien et peu tolérant, anticommuniste virulent et américain convaincu, il porte fièrement les valeurs de sa nation. Très teintés (donc) par la religion sur laquelle elle à prit racine. Il incarne admirablement bien Marcus Vinicius, un général de légions impassible, droit et à la moralité inflexible.


Avec Robert Taylor dans le rôle-titre, ‘’Quo Vadis’’ dépasse la simple idée de métaphore, légèrement alambiquée, pour devenir un véritable programme politique et théologique. L’ironie voulant qu’il soit réalisé (et diffusé) durant la chasse aux sorcières, en pleine ascension du maccarthysme. Quand le propos principal est la persécution d’une population voulant imposer sa vision unique de la société. Le paradoxe américain dans toute sa splendeur.


À l’origine le film devait être réalisé par John Huston, un libéral, produit par Arthur Hornblow, un libéral, avec Grégory Peck dans le rôle-titre, un libéral, et Elizabeth Taylor en love interest, je vous le donne en mille : une libérale. Or, le boss de la MGM, Louis B. Mayer (67 ans), était un très conservateur mogul, et la dimension allégorique des Chrétiens comme Communistes, il l’a vu tout de suite et a renvoyé tout le monde, il a fait réécrire le scénario, embauché des figures qui collaient à sa vision du monde, et en résulte cette œuvre hybride.


Hybride puisque tous le sous texte est évident. La démesure romaine, Néron le fou (incarné par un Peter Ustinov envouté), et l’obscurantisme de la société, demeurent les indices d’une vision critique de l’Amérique aux temps de la Chasse aux Sorcières. Sauf que le héros vertueux, et son idylle très chaste avec l’héroïne, prêt à tous les sacrifices pour faire vivre ses convictions, correspond parfaitement à l’idéal du parfait Américain. Donc par extension, du parfait Chrétien.


Bon, après tout dépend de la manière d’aborder le visionnage de ce film épique, mais l’ensemble sonne un peu comme un résultat schizophrène, ne sachant plus trop comment présenter les Chrétiens. D’après les textes romains c’étaient des fauteurs de troubles. Dans un Empire qui acceptait tous les cultes, ce furent les plus virulents pour imposer leur vision. Alors dans le doute, Mervyn Leroy fait appel à une représentation über classique des Chrétiens.


La présence de Pierre (futur Saint) est en ce sens équivoque. Patriarches charismatique, un peu brisé, il vit encore dans les secousses de son triple reniement de Jésus lors de son arrestation. Il est la figure tutélaire du mouvement chrétien, et est en ce sens crucifié, à l’envers, pour en faire un exemple. Quand ses suiveurs sont envoyés dans l’arène, face aux lions.


Sur fond de romance à l’eau de rose, qui prend une grosse partie de l’intrigue, se profile ainsi les débuts du prosélytisme chrétien aux portes de l’Europe, bien loin de la Judée d’origine, qui n’attend qu’à se rependre. Ce qui prendra encore pas mal de siècle, mais y parviendra par l’acharnement de ses fidèles, et la martyrisation d’un grand nombre d’entre eux.


Le métrage s’intéresse finalement moins à la persécution des Chrétiens, pourtant un sous texte omniprésent, qu’a la décadence de l’Empire romain. Qui après Néron allait pourtant connaître un renouveau. L’empereur est de fait très centrale, amalgamant à peu près tous les clichés du dictateur fou au pouvoir unique, qui fait de sa vision celle de son peuple, par la force si besoin. Là se perçoit l’inversement de l’idéologie initiale, toujours présente dans le scénario.


Dans la version de John Huston, Néron incarnait une Amérique aveuglée par un American Way devenu criminel, quand la chasse aux cocos faisait rage. Dans la version de Leroy il est Staline, clairement. Ce qui est perceptible par un culte de la personnalité démentiel, et la cruelle mise morte des opposants. Ce n’est pas là une exception de ‘’Quo Vadis’’, puisqu’entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et la mort du dictateur communiste en 1953, énormément de production s’inspire du personnage.


En soit, ‘’Quo Vadis’’ est une œuvre fascinante, plus pour sa place dans l’Histoire que pour son histoire, qui est somme toute très classique et cousue de fil blanc. Il y a peu de suspens, peu d’inattendu, aucune audace, c’est très propre, très maitrisé, ne laissant aucune place à la folie. Même la représentation de Néron en doit plus à Peter Ustinov qu’à l’écriture du personnage, qui en fait un vulgaire despote, quand le comédien lui offre une dimension toute shakespearienne.


Vestige d’un temps passé, puisque le Péplum ne passera pas vraiment les années 1960, l’œuvre de Mervyn Leroy s’avère sur la longueur un peu ennuyeuse. Malgré ses décors sublimes et la dimension épique de la fresque, le rythme est lent, l’intrigue met du temps à s’établir et elle est parfois confuse. Sans doute dû aux réécritures du scénario, détail que j’ignorais au moment du visionnage, mais qi pourrait justifier quelques incohérences.


Pas du tout un mauvais film, bien au contraire, il saura ravir, encore aujourd’hui, les amateurs du genre, puisqu’il est certainement une clé de voûte du Péplum made in Hollywood. Sans lequel il n’y aurait peut-être pas eu le ‘’Cleopatra’’ de Joseph L. Mankiewicz douze ans plus tard (qui fût un échec commercial). En ce sens il demeure une œuvre important de l’historiographie de la capitale du cinéma.


Il appartient à une race de film aujourd’hui disparue, que même une œuvre comme ‘’Gladiator’’ en 2000 ne peut rivaliser, puisqu’aux décors physiques le numérique ne parviendra jamais à se subtiliser aux charmes du réalisme, même kitsch. Ce qui n’est pas le cas ici, puisque nous avons à faire à une grande œuvre de série A, sans doute la plus importante de la MGM en 1951. On est loin de la nature bis d’un ‘’Demetrius and the Gladiators’’ en 1954. Là c’est du cinéma avec un grand A, et c’est indéniable.


Maintenant, libre à chacun d’y déceler ce qu’il désir, mais dans son fond, comme dans sa forme, il est vrai que ‘’Quo Vadis’’ est une œuvre prisonnière de sa nature pieuse, qui à trop vouloir présenter des Chrétiens irréprochables en fait des personnages bien trop lisses. De la même façon que les Jésus sans grande envergure des ‘’King of the Kings’’ en 1961 et ‘’The Greatest Story Ever Told’’ en 1965.


À trop vouloir jouer sur la note du solennel, l’œuvre ne parvient jamais vraiment à rendre hommage à la dépense de moyens inouïs mit à contribution. Car il manque au film une âme et une vraie humanité lui permettant de rendre son message plus accessible. Or c’est sclérosé qu’il est, dans une bondieuserie de comptoir qui ne parvient jamais à être transcender. La faute à une vision trop étriquée de la religion et de ses valeurs.


Tout cela fait regretter le film qu’il aurait pu être sous la direction d’un monstre comme John Huston. Qui aurait certainement allié la puissance de la représentation romaine, à la vulnérabilité d’un peuple chrétien clandestin. Mais bon, ça ne sert à rien de refaire l’histoire. En reste donc une œuvre un peu batârde, qui peine à se trouver une véritable identité, appuyant par trop sa nature droitière, qui l’empêche d’être à l’image des Évangiles, dont il prône pourtant les enseignements, l’aboutissement d’un message universel millénaire.


-Stork._

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le 4 mai 2020

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