Calez-vous dans votre fauteuil, Raisons d'état prend son temps, et ce n'est pas un film qui séduit son spectateur par des artifices scénaristiques tape-à-l'œil, des rebondissements spectaculaires, un patriotisme exacerbé ou au contraire une dénonciation en règle de la CIA, un héros qui nous galvanise ou un anti-héros qu'on adore détester. Rien de tout cela, on aurait presque perdu l'habitude, surtout pour un film américain, d'espionnage de surcroît.


Raisons d'état est d'abord la vie fictionnelle d'Edward Wilson (d'après celle bien réelle de James Angleton), un homme obéissant et passif, de prime abord assez impénétrable, à revers des espions éloquents et charmeurs, rebelles à leur hiérarchie que sont par exemple Jason Bourne ou James Bond. A travers lui c'est tout un pan de l'histoire américaine qu'on découvre, de la société socrète des Skull and Bones de l'université de Yale jusqu'au débarquement de la baie des cochons à Cuba en passant par la seconde guerre mondiale et la formation et le développement de la CIA.


La mise en scène de Robert de Niro est admirablement cohérente, les dialogues sont ciselés et pesés au mot près, les personnages sont bien trempés, la lumière et les costumes sont magnifiques et assurent une immersion maximale, mais ce qui est vraiment remarquable dans le film, c'est le rythme d'écriture qui jalonne sans heurts et tout en douceur la progression de l'intrigue. Sans être décisive ni racoleuse, chaque scène construit par petite touche le parcours d'une vie et la psychologie du mutique protagoniste et des nombreux personnages secondaires. Sans tomber dans le pathos, on assiste à l'évolution d'un élève brillant puis d'un espion professionnel qui sera respecté pour son abnégation, mais aussi finalement manipulé par la force des choses et des intérêts contradictoires de son entourage et de son pays. Ses actes ne sont ni répugnants ni admirables. Même s'il tend à délaisser sa famille et qu'il est amené à accomplir des saloperies dans son métier, il apparaît au fil du film pleinement humain et l'identification qu'on a envers lui se fait presque a posteriori, en sortant de la séance de cinéma.


Raisons d'état n'est pas non plus outrageusement intellectuel ni auteurisant, il captive constamment l'attention en alternant le récit initiatique, des moments romantiques ou dramatiques, des interactions où pointent la comédie, des scènes d'action, des tactiques de contre-espionnage ou des tractations diplomatiques. Presque insensiblement, la pression s'accroît sur Edward Wilson, qui s'est toujours distingué en faisant ce qu'on attendait de lui. Le crescendo du film est à peine perceptible, mais il atteindra son apogée vers la fin. Sans qu'il n'y ait de rédemption christique, de révélation éclatante ou de déchéance morbide, Edward Wilson finira seul, mettant à nu son inconscient défini par le traumatisme initial du suicide paternel vu tout au début.


Malgré 2h40 de métrage, Raisons d'état n'est pas ennuyeux une minute. Mine de rien, Robert de Niro réussit là sans être grandiloquent une œuvre d'art aboutie, à l'encontre de tous les lieux commun des studios américains.

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le 13 juil. 2017

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