Quand le Western spaghettico-fantastique démocratise l'Animation...

Sur la route qui scinde en deux l'interminable désert de Mojave, une automobile quitte brutalement la chaussée pour éviter un élément imprévu sur la voie. Le choc est tel que le vivarium qu'elle transporte est éjecté et libère le petit animal à l'intérieur. Ce caméléon, seul et en quête d'identité, s'imagine en héros et entretient, tant bien que mal, son jeu d'acteur, accompagné de quelques bidules en plastique à qui il en confère une. Lâché en pleine nature, déboussolé, il n'aura pas d'autre choix que de s'aventurer dans la lande aride afin de trouver refuge à « Poussière » et de tenter, enfin, de se forger soit même.


Rango est un film frappant. Gore Verbinski s'approprie le milieu du western pour lui conférer un univers capable de renouveler le genre. Il ne se contente pas seulement de l'habiter de créatures anthropomorphes totalement géniales, criantes de réalisme et peintes d'une patte artistique de haute voltige. Il arrive également à rendre tout ce beau monde captivant, concret et diaboliquement efficace. L'effet est fantastique, dans tous les sens du terme, puisque Verbinski s'amuse en jouant sur l'illusion, l'onirisme et le déjanté avec une aisance remarquable (un petit effet Depp ?).
En effet, ce reptile sans nom est catapulté dans une ville à rue unique, comme tout bon western qui se respecte. Mais ce qui choque, c'est la totale liberté quant à la photographie, et plus particulièrement quant aux proportions. Les tailles humaines et animales se confondent, à la fois chez les personnages mais aussi dans les décors ; un sage tatou quinze fois plus imposant qu'un porcin tracteur, une route monstrueuse par rapport au lézard qui n'hésite pas à chevaucher des... « autruches » dans des canyons taillés sur mesure, un œil gigantesque observant toute une troupe de mineurs... Tous ces éléments instaurent chez le spectateur un trouble, le laissant petit à petit plonger dans le rêve. Ajoutez à cela des scènes d'un onirisme euphorique pour une telle production tout au long du récit, et Rango ressemble au final à un Western spaghetti dans lequel on n'aurait pas lésiné sur le tabasco !


Si l'eau est une denrée rare à « Poussière », on ne peut pas en dire autant en ce qui concerne l'inspiration du bestiaire et des situations. Comme si Verbinski voulait s'excuser de sa prise de risque surréaliste face aux tenors du genre, il bourre son œuvre de références et la gave d'influences. Mais si l'on peut voir et entendre de multiples clins d'œil aux films de Sergio Leone (pour le coup, c'est "Chameleon" with a Harmonica : http://www.youtube.com/watch?v=PJmmxk26Fvs&feature=related) ou encore à ceux de Clint Eastwood, il n'est pas permis d'omettre les innombrables hommages parodiques aux grands films fantastiques et d'aventure qui nourrissent le contexte du récit et confère, au détriment du héros, une véritable identité fraîche à l'œuvre de Verbinski. Tout y passe : Jurassic Park, Avatar, Le Seigneur des Anneaux, l'Etrange Noël de Monsieur Jack... Même la musique du générique reprend le thème culte, à la sauce Rango, d'un film de Tarantino qui ne l'est pas moins (facile, je vous laisse deviner : http://www.youtube.com/watch?v=Q0dbbUu9Uok).
En parlant de Clint Eastwood, le vieil homme grisonnant se voit immortalisé en images de synthèse durant une séquence moralisatrice et onirique qu'on eut dit spécialement créée pour le vétéran. Rango y comprend l'importance d'une véritable identité, qu'il est temps pour lui de muer afin de découvrir sous ses écailles qui il est réellement, Au-Delà (ahah) de son personnage d'acteur. Avouez qu'en terme de respect quant à la carrière d'un ancien macho devenu plus intimiste, on peut difficilement faire mieux...


L'histoire elle-même est entièrement calquée sur un classique des studios Pixar, 1001 Pattes, à partir duquel elle suit la même trame scénaristique (et y fait clairement référence sur une scène de la fin, dans laquelle l'aspect du faucon est imitée par une nuée de chauve souris). Seulement, la production de Nickelodeon vaut largement une production Disney ou Dreamworks. En fait, Rango, c'est un peu 1001 Pattes, mais en 1001 fois plus mature. Car si Nickelodeon avait l'habitude de pondre des longs métrages destinés à un public vraiment très jeune, ça n'est pas du tout le cas ici de Rango. Il y a des faux sens médiatiques dont tout le monde se serait bien passé (et ça, Alexandre Aja l'a bien compris), et en particulier les nombreux enfants dans la salle sombre, effrayés par la palette de monstruosités pourtant sublimes et les scènes chocs évoquant la mort qui défilent à tout bout de champs. Même l'humour, très consistant, est d'avantage destiné à un public adolescent, voir plus adulte, c'est-à-dire capable de comprendre ce sur quoi Verbinski s'est basé pour lui offrir une œuvre hommage mais aussi personnelle, complètement surréaliste.
Dans Rango, contrairement à beaucoup d'autres productions d'animation, le manichéisme n'est pas de mise puisqu'on ne sait jamais à quel camp les personnages appartiennent réellement. C'est le trouble d'identité du caméléon qui change de jeu comme de couleur (pour ne pas évoquer sa petite chemise hawaïenne très mignonne). Une morale écologique concrète et non plus imagée vient violement parfaire le tout au sujet d'un problème réellement substantiel.


En cela, la fable pseudo-philosophique de Verbinski marque une nouvelle étape dans le lent processus de démocratisation de l'animation caustique réservée aux plus mûres. Comme son héros, Verbinski se cherche, mutant au premier abord. Comme son héros, Verbinski se trouve, inventif, audacieux et désaltérant dans le désert aride des productions hollywoodiennes massives.
AjeFersen
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le 21 mai 2012

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