Raoul Taburin (Benoît Poelvoorde) a un secret : il ne sait pas faire de vélo. Cela n’aurait pas grande importance, s’il n’était justement réparateur de vélos dans le petit village de Saint-Céron et qu’il avait gagné malgré lui une réputation de cycliste virtuose. Dès lors, il se sent profondément coupable du mensonge sur lequel il a fondé sa vie, d’autant qu’il souffre de n’avoir jamais pu prendre la relève de son père (Grégory Gadebois), facteur à vélo. Mais le jour où un photographe (Edouard Baer) arrive au village avec l’intention de prendre des clichés de tous les habitants dans leurs activités quotidiennes, Raoul Taburin est acculé : comment continuer à cacher son lourd secret ?


Adapter un livre de Sempé au cinéma est une aventure particulièrement dangereuse, tant le génie du dessinateur réside dans son trait inimitable, à plus forte raison avec des acteurs réels. Pourtant, si Sempé était un dessinateur hors-pair, il était également un excellent narrateur. C’est ici que le scénariste Guillaume Laurant (habitué du cinéma de Jean-Pierre Jeunet) se trouve un créneau qu’il met parfaitement en avant. De fait, la prose de Sempé, au moins aussi délicate que son dessin, donne au film tout son relief, là où on aurait pu craindre que la caméra ne trahisse l’iconographie de l’auteur. Si l’on est en droit de trouver la voix off envahissante, elle permet pourtant de bien mettre en évidence les rouages d’un récit sensible et touchant, multipliant les bons mots et les belles tournures.


S’appuyant sur un scénario de qualité, Raoul Taburin peut également faire confiance à son brillant casting. Benoît Poelvoorde n’a jamais été meilleur que dans ces rôles de timides maladifs dont il a le secret (qu’on revoie Les Emotifs anonymes), tandis qu’Edouard Baer suscite immédiatement la sympathie par son ton chaleureux et sa présence comme toujours incroyable. Indéniablement, tout le secret de la réussite de Raoul Taburin réside avant tout dans l’alchimie exceptionnelle qui se développe entre les deux acteurs, tandis que Suzanne Clément vient illuminer le film par son charme.
Ce qui illumine le film, c’est aussi le soleil du Vaucluse : par ce film, Pierre Godeau se place dans la catégorie des rares cinéastes qui arrivent encore à créer une atmosphère de village à la Pagnol ou Exbrayat, et ainsi, à dresser le portrait d’une France profonde simple et heureuse, portrait bien évidemment déconnecté de toute actualité. Le cadre du village de Venterol est ainsi parfaitement choisi pour évoquer la magnificence des paysages du Sud de la France, mais aussi pour créer cette intemporalité qui est la jolie marque du film de Pierre Godeau. En effet, le réalisateur parvient tout-à-fait à nous extraire des noirceurs de notre époque actuelle pour nous plonger dans ce conte que l’absence d’ancrage temporel rend d’autant plus universel. Qu’il se passe en 1950 ou 2019, on n’aurait rien à changer à ce film, et c’est ce qui le rend si charmant.


Au rythme des jolies notes de la musique de Javier Navarrete (compositeur du Labyrinthe de Pan, entre autres), on se laisse emporter dans ce rêve éveillé qui nous fait redécouvrir les merveilles de la simplicité. Car en effet, ce que met en images ici Pierre Godeau, à la suite de son maître Sempé, c’est un éloge de la simplicité la plus absolue. Mieux qu’aucun de ses collègues, la caméra de Pierre Godeau sait toujours capter la grandeur du dérisoire, la noblesse du tout petit, ce qui permet à Raoul Taburin de dépasser son statut de simple comédie. Bien sûr, on rit et on sourit souvent, mais au fond, si l’on sait un peu lire sous la surface, c’est un film bien plus profond qui se dévoile : un film sur la complexité des sentiments, le poids du secret et du mal-être, la vie en communauté, l’amitié, la filiation et l’héritage familial compliqué, etc…
Ainsi, Raoul Taburin nous détend de la manière la plus pure et légère qui soit sans jamais oublier de nous délivrer en outre un beau message, simple et profond. Que Raoul Taburin se montre en outre un film cultivé, en nous citant au détour de quelques répliques l’immense et trop méconnu Jacques Perret, ne fait qu’accroître un charme qu’il a pourtant déjà grand.

Tonto
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le 21 oct. 2019

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