J'ai sur Ready Player One des sentiments mêlés. Le plus souvent, je crois fermement que le temps rendra justice à ce film virtuose, où Spielberg rappelle à tous qu'il est le maître incontestable de la réalisation cinématographique, encore et toujours.


L'art de la mise en scène coule dans ses veines d'une manière si pure et si instinctive qu'il reste toujours fascinant et, pour une bonne part, inimitable. Un peu comme Tintin, mais d'une manière beaucoup plus éblouissante, Ready Player One lui a offert en la matière un terrain de jeu jubilatoire.
Outre une multitude de références taillées pour lui (on y reviendra), le scénario l'a autorisé à questionner, dans sa mise en image, la frontière de plus en plus trouble entre réel et virtuel. A tel point que, régulièrement, le film nous fait douter sur notre position.


La séquence qui reconstitue Shining, en plus du plaisir extraordinaire pris à profiter de cet hommage à son ami Kubrick, est particulièrement vertigineuse.


Le reste du temps, cependant, je regrette un peu un récit un poil trop sage, trop simpliste ; des jeunes acteurs beaucoup plus charismatiques sous le visage de leurs avatars que dans le monde réel ; un argument classique et manichéen pour tirer le fil de l'intrigue, avec un méchant très méchant (Ben Mendelsohn, en pleine hype de hyper-vilain), un dilemme basique entre avidité financière et sauvegarde des idéaux...


Oui mais, quand même, quelle claque !
Parce qu'on revient toujours au même point. Ready Player One devait-il être un film à thèse ? Non. Ready Player One, c'est un plaisir de gamin pur et innocent, une galerie d'arcade, un déluge d'aventure au premier degré.
Ready Player One, c'est un train fantôme, des montagnes russes, un stand de glaces et de barbe à papa.
Ready Player One, c'est une porte ouverte sur les univers du rêve et du jeu, qui permet de s'engouffrer dans tous les possibles - comme danser dans les airs, maîtriser le cours du temps, avancer à toute vitesse, faire pause ou revenir en arrière.


Ready Player One, c'est une avalanche de références geek aux années 80, les dernières vraiment insouciantes de l'humanité sans doute. Des années dont Spielberg est l'emblème, à tel point que le roman d'Ernest Cline le citait plus souvent qu'à son tour.
Le réalisateur nous a épargné le triste spectacle de l'auto-satisfaction et de l'orgueil mal placé en gommant ces citations du scénario. En revanche, comme il l'a beaucoup fait dans certains de ses derniers films (War of the Worlds par exemple), il reprend certaines de ses figures visuelles archétypales, crée des échos avec ses réalisations passées, contribuant à resserrer la toile de son œuvre.


Car, oui, le cinéma de Spielberg, n'en déplaise à ses détracteurs qui continuent à le rabaisser au rang d'amuseur public et d'habile faiseur, est à la tête d'une véritable œuvre, cohérente, pensée, pesée, d'autant plus intéressante qu'elle est guidée par son instinct phénoménal plutôt que par la volonté de faire œuvre.


Ready Player One, c'est un adolescent. Comme tous les ados, il est utopiste, candide, un peu bordélique. Mais aussi bouillonnant, engagé, révolté. Devenu adulte, il pourra prendre le temps de jeter un œil par-dessus son épaule et de sourire de l'être imparfait qu'il fut - imparfait, oui, mais entier, brûlant et juvénile. Indispensable, en quelque sorte.


Et c'est assez joyeux de constater qu'à plus de 70 balais, Steven Spielberg a su conserver cette part d'enfance en lui. Sans doute pas intacte, non. Entamée par la vie, un peu écornée, comme un vieux livre qu'on a lu et relu, et qu'on ne peut se résoudre à remplacer par un exemplaire neuf - parce qu'alors le plaisir de lecture ne sera plus tout à fait le même.


Mais le Spielberg gamin qui jetait des étoiles sur un extra-terrestre oublié dans une banlieue californienne ou sur un étrange montagne du Wyoming, qui épouvantait à la manière d'un cauchemar d'enfance en lançant un requin dans les eaux de l'été, qui faisait claquer le fouet d'un aventurier hâbleur ou redonnait la vie aux dinosaures, ce Spielberg-là est encore bien vivant.
Et si l'on ne doit retenir qu'une bonne nouvelle de Ready Player One, c'est celle-ci.

ElliottSyndrome
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le 22 juin 2020

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