A une époque où tout est sujet à déterrer ce qui a fait le succès d'autrefois, il est tout ce qu'il y a de plus logique qu'une oeuvre qui soit l'héritage de tout un pan de la culture populaire voit le jour et finisse adapté au cinéma: le livre Player One d'Ernest Cline. Adapté en film, ce livre de pur fan peut donner vie au film choral ultime comme il peut faire peur à l'heure d'aujourd'hui en s'annonçant comme la quintessence du film "doudou". Un élément dans l'équation vient faire la différence entre un mauvais fan-film et un excellent blockbuster magnifiant cette magie sans la dénaturer: Steven Spielberg.
Le Maître du Divertissement se retrouve avec la tâche délicate de donner vie à une pop-culture qu'il a lui-même grandement enrichi en 40 ans de carrière tout en représentant un public de plus en plus conséquent à l'heure d'aujourd'hui. Ready Player One s'annonçait dès lors comme un film aux enjeux des plus symboliques pour notre réalité que dans son action. Une question subsistait avant de voir le film: Va-t-il nous encourager à prendre du recul sur notre amour de nos jouets ou va-t-il simplement surfer sur la tendance ô combien énervante de manipuler notre amour envers eux sans faire quoi que ce soit pour empêcher ce système d'aller droit dans le mur ?


Sur ce plan là, il n'y a rien d'étonnant à ce que Warner Bros ait axé la promotion du film uniquement sur son côté fan-service en mettant bien en évidence ce qui fait le plus marcher la corde sensible des fans.
Mais, et c'est un immense soulagement, Spielberg est loin d'user de la même méthode. Ready Player One n'employant quasiment jamais le fan-service de façon gerbante comme les reprises de franchises de ces dernières années le font. Si on peut douter de la pertinence de certains clins-d’œil, leur omniprésence est complètement justifiée dans ce monde virtuel qu'est l'OASIS où tout le monde peut faire ce qu'il veut. Mieux, ils donnent vie à cet univers et de la personnalité au personnage principal Wade Watts/Parzival véritable représentant de la population fascinée par la fiction populaire dans lequel n'importe quel spectateur peut s'identifier. N'importe quelle personne ayant grandi avec ce pan culturel pourra donc s'amuser à repérer la platée de références disséminés sous ses yeux dans ce bac-à-sable qui fait lieu de chasse au trésor dont les enjeux dépassent de loin celui du simple amusement.


Dans cette course à l'héritage lancée par le créateur de son univers James Hallyday (on va éviter de faire une blague facile sur une actualité de chez nous si vous voulez bien), Steven Spielberg puise pertinemment dans tout ce qui lui passe par la tête, des jeux-vidéos aux films les plus cultes, tant explicitement


(on retiendra la séquence déjà collector où nos héros sont coincés dans Shining)


que plus subtilement. Notamment Charlie et la Chocolaterie dont la trajectoire du récit est identique: une longue exploration où seule une personne méritante aura le droit d'hériter d'un monde de rêve aux possibilités infinies pour éviter de le laisser entre les mauvaises mains.
C'est là-dessus que Ready Player One révèle la pertinence de son sous-texte car tout est conçu de manière à ce que seul un véritable fan à l'amour inconditionnel pour la culture geek peut mériter de posséder l'OASIS (la culture en général) à l'inverse des entreprises dirigés par de véritables costard-cravates (représentés par Ben Mendolsohn) dépourvus du moindre amour pour la culture, ne voyant là qu'un simple outil à exploiter pour s'enrichir aux dépends des utilisateurs n'aspirant qu'à s'amuser et se servant de leur bonne volonté pour leur propre intérêt. Un contexte dont l'utilisation est tellement bienvenue à l'heure d'aujourd'hui où les sociétés de production abusent de méthodes similaires.


Pour ce soulagement, il y a un relâchement dommageable. Ce qui se craignait déjà avec la promotion se confirme durant le visionnage, la faible représentativité du monde réel qui vient réduire la portée des enjeux (notamment lors du final [on repassera également sur l'implication des personnages secondaires dans l'histoire]).
Spielberg ne pose que textuellement les problèmes engendrés par la réussite mondiale de l'OASIS et n'encourage que trop peu le public à faire le discernement entre les problèmes réels et virtuels, il ne renvoi pas son message sur le fait que l'humanité s'est laissé dévoré par le désespoir au point d'abandonner sa réalité (alors que le monde est censé être en crise). Peut-être par crainte de toucher à un sujet sensible, Ready Player One n'évoque que trop furtivement ces aspects, comme une caution de respectabilité.
Et pour un film qui nous fait replonger dans ce qui nous a bercé, il ne nous invite pas à nous en affranchir.


Pour autant, cela n'en fait pas un film au mauvais fond et on peut en dire encore moins sur la forme. La promesse de nous en mettre plein la vue est tenue.
L'OASIS qui prend une grande poignée de la durée du film est de toute beauté. Les travellings fluides et rapides de Spielberg ne négligent aucun détail, nous sommes plongés dans le jeu grandeur nature, le virtuel donne une dimension infinie à ce que nous voyons, les décors n'ont aucune limites, le film est tellement généreux qu'il faut passer par plusieurs visionnages pour y déceler tout ce qu'il nous offre.
Une générosité et un retour aux divertissements old-school qui prend aussi les oreilles par la présence d'Alan Silvestri en grande forme (plus justifiée que John Williams) qui nous rappelle les meilleurs moments musicaux de ses heures de gloires sans aller dans le repompage.


Le succès de Ready Player One aura sans doute des répercussions intéressantes à analyser. Il faut bien faire la distinction entre mauvais fan-service malavisé et utilisation pertinente de jouets pour caresser le public dans le sens du poil, sur ce point, le dernier né de Steven Spielberg est parfaitement inoffensif (ou du moins dans ses intentions) et mérite d'être retenu comme une leçon à retenir.


A noter aussi la Warner qui se rachète en donnant au Géant de Fer la promotion dont il n'a pas bénéficié lors de sa sortie. En attendant, j'ai envie de dépoussiérer mon coffret Trilogie Retour vers le futur et de me (re)plonger dans ces divertissements qui nous invitent à une chose: A rêver, à imaginer, à créer.


Et vous ?

Housecoat
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le 28 mars 2018

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Housecoat

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