Il existe une petite proportion de films qui se révèlent être des expériences à part, parfois indescriptibles ou ineffables. Réalité est définitivement de ceux-là.


A une époque où la comédie française est souvent pointée du doigt pour ses codes redondants et son manque d'imagination et de subtilité, Dupieux propose d'élargir le genre à travers des films protéiformes. D'ores-et-déjà auteur de plusieurs long-métrages inventifs (Wrong et Wrong Cops pour leur humour fou, ou encore Rubber pour son burlesque profond), Réalité reste pour moi son film à la fois le plus abouti et le plus abordable pour un néophyte. Tandis que Rubber nécessitera d'avoir l'esprit bien ouvert, Réalité peut justement faire office d'ouverture.


Cela s'explique par une narration étrangement cohérente, du moins au début. Durant un certain temps, on tente malgré nous de se raccrocher à un espace-temps acceptable, comme si on cherchait à combattre le film qui essaye à nous perdre. Le cerveau humain fonctionne ainsi, il refuse les incohérences. Et le film est très progressif : c'est ce qui fait qu'il devient vite captivant, et que la partie finale s'apparente à un cauchemar abstrus.


Car oui, la mise en abyme que constitue le film dans son ensemble n'a pas vocation à être décrypté. Plusieurs niveaux de réalité s’imbriquent, jusqu'à cette scène déconcertante où Jonathan Lambert est au téléphone avec Alain Chabat, lui-même prisonnier d'une cassette-vidéo que regarde Kyla Kenedy, elle-même présente dans le film que regarde Jonathan Lambert. Contrairement à d'autres fins réputées mindfuck et désarmantes, telles que Mulholland Drive ou Enemy, Réalité ne se prête pas à de profondes interprétations, car il est rigoureusement conçu pour ne pas laisser de place au déchiffrage.


Surpassant le « No reason » de Rubber, qui nous fait nous demander « Pourquoi », Réalité nous fait nous poser la question du « Comment ». Mais il n'y a pas de réponse à cette question ; l'objectif est plutôt de se laisser démonter cérébralement par le film. Et Dupieux ayant bien rythmé son scénario et ses intrigants dialogues, nous sommes tentés de nous laisser porter par cette histoire pourtant très loufoque.


Il faut reconnaître que les acteurs n'y sont pas pour rien. Que ce soit Eric Wareheim aussi incongru que dans Wrong Cops, Jonathan Lambert antipathique et imprévisible, ou bien sûr Alain Chabat particulièrement drôle et spontané, tous ont parfaitement cerné l'univers de Dupieux, et adoptent une interprétation très quotidienne - selon le terme de Jonathan Lambert - qui reflète un certain naturel.


Ainsi, avec son casting excellent et son absurde parfaitement maîtrisé, Réalité parvient à être drôle en usant de codes et de méthodes qui diffèrent totalement du paysage actuel de la comédie. Réalité va jusqu'au bout de son concept, et même plus loin encore qu'on ne puisse l'imaginer sans l'avoir vu. C'est pourquoi, bien que Dupieux recèle toujours de bonnes idées et cherche toujours à renouveler son cinéma, il s'agit à mes yeux du film le plus abouti du réalisateur, et de loin.

Monsieur_Cintre
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films d'humour absurde, Top 100 Films, Les meilleurs films des années 2010 et Les meilleurs films français

Créée

le 26 nov. 2020

Critique lue 99 fois

8 j'aime

2 commentaires

Monsieur_Cintre

Écrit par

Critique lue 99 fois

8
2

D'autres avis sur Réalité

Réalité
Frédéric_Perrinot
9

La symbolique des rêves ( Spoilers )

Il est très difficile de parler d'un film de Quentin Dupieux, comme il est difficile parfois de le regarder et de le comprendre. Dupieux faisant un cinéma du malaise et de l'oppression, si ceux-ci...

le 13 févr. 2015

317 j'aime

8

Réalité
Sergent_Pepper
8

Mise en abysses.

Les prologues de Dupieux avaient jusqu’alors toujours été d’une radicalité assez jubilatoire : discours programmatique comme ode au non-sens (Rubber), tableau surréaliste et mutique (Wrong), ils...

le 23 févr. 2015

272 j'aime

11

Réalité
CinemAd
4

No reason

Il faut que vous sachiez une chose : j'ai un problème avec Quentin Dupieux. D'une, je pense que c'est un gars qui a un melon de la taille d'une montgolfière et je déteste les gens qui prennent de...

le 11 févr. 2015

101 j'aime

20

Du même critique

The Big Lebowski
Monsieur_Cintre
10

Tout commença par une souillure de tapis...

En 1998, les frères Coen ont déjà maintes fois affirmé leur style à la fois étrange, absurde, dramatique, noir et comique. Un savant mélange qui, deux ans après la réussite de Fargo, donnera...

le 26 avr. 2020

19 j'aime

3

Les Aventuriers de l'arche perdue
Monsieur_Cintre
5

Archéologue : un métier badass

Je trouve que Spielberg a un sens tout particulièrement affûté lorsqu'il est question de rythmer ses films. Il rend la narration très simple, si bien qu'à chaque moment du film, nous savons à peu...

le 1 oct. 2018

18 j'aime

5

Mon nom est Personne
Monsieur_Cintre
7

Le chemin vers la reconnaissance

Mon Nom est Personne est à la fois un western spaghetti et un hommage au genre. Il s'agirait à l'origine d'un projet de Leone - le roi des spaghettis - qui en est le producteur, et qui souhaite...

le 5 sept. 2020

17 j'aime

10