Devant un film aussi facile, il ne faut pas se donner beaucoup de peine, mais se fixer modestement des objectifs : 1) Etre bref ; 2) Se demander pourquoi le film n'est pas drôle ; 3) Dire exactement ce qu'il reste ici de l'esthétique Z de Rubber et de Wrong Cops.
Peut-être faut-il commencer par là : cette esthétique – que Dupieux associe dans chacun de ses entretiens à un éloge de l'« amateurisme » - semble avoir été rattrapée par la réalité économique. La réalité du film, ce n'est pas la petite fille qui rêve (idée stupide : elle s'appelle Reality), c'est le marché. On sait à quel point ce marché représente une obsession dans le cinéma de Quentin Dupieux (il faut se souvenir des spectateurs empoisonnés de Rubber, de la scène d'audition chez un producteur dans Wrong Cops) : comme si son cinéma, complexé par son amateurisme, honteux d'être fait avec des caméras de poche (le Canon 5D avec lequel Dupieux a réalisé Rubber, Wrong et Wrong Cops), voulait se venger – bêtement – du système. Le problème de Réalité réside dans le fait qu'on ne voit plus très bien la nuance entre les deux. Le film multiplie dans son dernier tiers des effets de "petit malin" (sur le thème rebattu du rêve dans un rêve) qui finissent par donner mal à la tête.
Les rêves s'emboîtent les uns dans les autres comme des poupées russes. Bien éclairé sera celui qui saura m'expliquer la dernière demie-heure.
A l'image du réalisateur Jason Tantra (Chabat), Dupieux rêvait d'un autre film: il voulait faire un navet Z. Ce film s'intitule "Waves": une histoire de télévisions tueuses qui grignotent l'intelligence des spectateurs avant de provoquer en eux un phénomène de combustion intérieure qui les tue dans d'atroces souffrances. Voilà le synopsis que Tantra vend au producteur Bob Marshall (Lambert). Le producteur accepte à condition que Tantra lui rapporte le « meilleur gémissement de l'histoire du cinéma », un cri qui vaudrait à lui seul un Oscar. Ebaubi par l'injonction de son producteur, Tantra cherche son cri parfait et sa quête fonctionne comme un running gag.
Il est clair que Dupieux nous donne ici une version cheap de "Blow out", où Chabat remplace Travolta, mais son intention s'arrête là, sa parodie ne l'engage pas. Cette histoire de cri, le film ne la porte nulle-part, sauf pour imaginer – dans une de ses nombreuses scènes de rêve – Tantra recevant un Oscar pour son cri, dans ce qui est (encore) une parodie (de cérémonie). La présence de Michel Hazanavicius dans cette scène est on ne peut plus significative : le réalisateur des "OSS" vient remettre à Chabat une statuette qui les situe dans une même communauté humoristique, la parodie s'auto-consacre, les parodistes se félicitent entre eux. Mais le spectateur, lui, ne rit pas.
C'est en cela que le film me paraît extrêmement facile : il ne conçoit pas l'humour comme une route au bord du cauchemar (à la manière de Forman dans le génial "Man on the Moon"), mais comme un programme qui se construit autour de petits sketchs parodiques censé "faire de l'effet". Le comique, dans "Realité", ramène le cinéma de Dupieux vers ce qu'il a fui : la France. Les décors ont beau ressembler à ceux des films précédents – des lieux neutres de l'Amérique, villas trop grandes, impersonnelles – le film a quelque chose de très français dans son culte de la vanne (« Kubrick mes couilles », ce n'est pas drôle), dans sa façon de suggérer les problèmes de couple de Tantra, et surtout, dans sa peur du cauchemar.
De ce cauchemar, il ne reste que les plans de "Waves" que Tantra voit en rêve, dans une salle de cinéma où il s'est endormi. "Ne regardez pas ce film, il n'existe pas encore", dit-il aux spectateurs. Comme Dupieux, Tantra rêve du film qu'il n'a pas fait. Alors que d'autres cinéastes français de la même génération (Aja, Laugier, Khalfoun) sont partis aux Etats-Unis pour réaliser les films de genre dont il rêvaient (avec plus ou moins de réussite), Dupieux hésite aujourd'hui entre le cinéma de genre et la mauvais film français (avec de mauvais acteurs). De ce point de vue, l'arrivée d'Alain Chabat dans son cinéma est un signe inquiétant, qui laisse présager de quel côté la balance risque bientôt de pencher. Lucide, Dupieux se livre, dans "Les Cahiers du cinéma", à une autocritique honnête : «on regrette finalement l'amateurisme des débuts. Dupieux signe là son premier film de vieux […]. Doit impérativement se réinventer. »