Rebecca
7.6
Rebecca

Film de Alfred Hitchcock (1940)

Mrs. Edythe Van Hopper, respectable veuve déjà âgée, accompagnée de sa jeune fille de compagnie, est en villégiature à Monte-Carlo à l'hôtel « Côte-d'Azur », lorsque leur chemin croise celui de Maximilien de Winter, riche veuf, qui n'a aucun mal à séduire la jeune fille et, dans la foulée, à l'épouser et l'emmener dans sa demeure ancestrale de Manderley, quelque part sur la côte sud-est de l'Angleterre. Voici comment commence Rebecca, le film qu’Alfred Hitchcock allait tourner à Hollywood en 1940.



Les premiers contacts avec le personnel du château, régenté par la peu amène gouvernante Mrs. Danvers, seront glacials. Cette dernière, en effet, attachée depuis toujours au service de la précédente Mrs. de Winter, Rebecca, et lui vouant une passion sans limite, même à titre posthume, n'accepte pas l'intrusion de l' "usurpatrice". Aussi le souvenir de l'épouse disparue et vénérée continue-t-il de hanter le sombre château gothique ...au point que la nouvelle épouse croit qu’il lui faut peu à peu, selon les conseils de l’autoritaire duègne, tout faire pour lui ressembler.

Le film est de façon originale basé sur un personnage qui n’apparaîtra jamais, mais qui ne cesse de se faire obsédant, au point que le personnage central du film, la seconde épouse, délicatement interprétée par Joan Fontaine, semble comme écrasé par le poids de cette présence invisible. Cette dernière est l’incarnation contraire de la précédente, et pour la rendre encore plus évanescente, Daphné du Maurier, l’auteur du roman éponyme dont le film est tiré, ne lui a pas donné de prénom, en a fait une orpheline, un être sans passé, sorte de Cendrillon fragile et inexpérimentée d’une histoire conjugale qui ne parait jamais être la sienne, mais toujours celle de l’autre, cette précédente disparue dans des conditions restées mystérieuses.

Celle qui, en définitive, mène le jeu n’est autre que la gouvernante, la sévère et rigide Mme Danvers, admirablement campée par l’actrice Judith Anderson, qui, grâce à son machiavélisme redoutable, finit par pénétrer la tout jeune femme que son mari est inconsolable de la disparition de sa première épouse. Une série d’indices, de symboles, d’icônes défilent à l’écran pour rappeler cette omniprésence au point de conduire la jeune épousée au bord de la folie et de lui inspirer un comportement dont son mari sera le premier à s’affliger.

Conduit de main de maître par un Alfred Hitchcock dont c’était la première réalisation américaine depuis qu’il avait traversé l’Atlantique et avait signé un contrat de 10 films avec le producteur David 0’Selznick, ce film est davantage un drame psychologique qu’un thriller et sort un peu de ce que Hitchcock se plaisait à réaliser, mais malgré les directives sourcilleuses imposées par le producteur, le grand Alfred saura sauvegarder son inspiration et surtout créer une atmosphère étouffante et conforme à son génie propre, dans un opus qui tient le spectateur en haleine de bout en bout. J’avais vu ce film, il y a de cela bien des années, récompense que mon père m’avait accordée après mon premier bac, et avais été littéralement enthousiasmée par la finesse de la composition psychologique, l’atmosphère hallucinée, l’interprétation des trois principaux personnages : Joan Fontaine, en proie gracile qui nous fait penser à une biche aux abois, Laurence Olivier en lord anglais de grand classe, assez impénétrable d’ailleurs, et Judith Anderson souvent filmée de dos ou de côté, ce qui n’est pas innocent car si elle occupe, de par sa condition, une situation secondaire, au final elle n’en est pas moins à l'origine du drame, persuasive, inquiétante, comme si elle exhalait en continu son venin mortifère. Revu à la télévision, l’opus ne m'a pas déçue, bien au contraire, j’y ai trouvé de nouveaux motifs d’en apprécier la lente et inexorable progression dramatique. Fidèle au roman à succès de Daphné du Maurier, l’œuvre de Hitchcock ajoute à l’écrit un visuel revisité et tellement attractif que l’on peut presque dire que le film apporte un supplément d’intérêt à cet excellent roman. Comme « Autant en emporte le vent », produit au cinéma par le même Selznick, le livre n’a rien perdu à être transposé à l’écran, ainsi arrive-t-il à la littérature de servir le 7e Art, sans qu’aucune de ces deux formes d’art ne soit desservie.
abarguillet
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le 7 oct. 2013

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