Un moineau moins rouge mais plus intriguant que prévu

Curieuse affaire que celle de ce Moineau Rouge (faisons comme si nous étions au Québec), film précédé d’un buzz à faire chouiner Reddit, à base de Jennifer Lawrence nue la moitié du temps et de scènes de torture qui font grincer les dents, puis de premiers échos assez catastrophiques, pour finalement se révéler… sympathique, dans le registre du thriller samedi soir. Certes, on a déjà vu plus sophistiqué, comme constat, mais c’est ce que Francis Lawrence (père de Jennifer) (non je déconne) nous a bricolé, au final. Ni l'infâme nanar putassier (une virulence dans la négativité en partie motivée idéologiquement, en cette période d'hystérie féministe), ni le chef-d'oeuvre incompris du genre qu'évoquent les critiques sur IMDb, où le film semble cliver à mort.


Le Moineau Rouge a une prétention : proposer du John le Carré, c’est-à-dire du récit d’espionnage le plus réaliste et glaçant possible dans ses intrications et ses dommages collatéraux, avec de la fesse et des gerbes de sang bien poisseuses. En lisant ça, le pop-corneur entrevoit peut-être déjà quelque chose de sexy à la Atomic Blonde, sans le côté cartoonesque et avec un scénario moins bidon. Hélas, on ne peut pas dire que la sauce a complètement pris, car le film, en dépit d’un effort louable d’écriture avec quelques bonnes idées dont un twist final assez réussi, ne convaincra jamais totalement dans son sérieux. Déjà, et comme prévu, il peine avec ses accents « russes » ridicules (sans pour autant en crever comme la série Nikita...). Et son point de départ, avec sa danseuse étoile reconvertie en tueuse du KGB, est d'un grand-guignol qui met à l'épreuve ce que les anglophones appellent notre (« suspension of disbelief »... rien à cirer que l'auteur du roman original soit un ancien de la CIA, ce pedigree ne fait pas de soi un grand romancier. C'est d'ailleurs pourquoi l'on ne perdra pas de temps sur la tableau tantôt touristique, tantôt caricatural que le film propose de la Russie actuelle : pas la peine. Pas l'objet.


Cependant, et c'est là que ça devient un minimum intéressant, le film parvient à surprendre dans d'autres domaines, et plutôt en bien. Alors que l’on s’attendait à du divertissement « adulte », dans le sens riche en violence graphique, Le Moineau Rouge se concentre davantage sur son intrigue d'espionnage, et ne fait vraiment effet que de ce côté, tout en bénéficiant de la forme très soignée du film (à commencer par la photo de Jo Willems, des Hunger Games). Attention, la violence est violente et son héroïne s’en prend plein la gueule, mais ce ne sera souvent qu’affaire d’intermèdes dans un océan de jeux de dupes en intérieurs. À tous les pervers pépères : quoique nous saluions l’actrice pour avoir laissé passer une telle scène, J-Law entièrement à poil et enchaînée sous la douche, ça dure deux secondes, et l’on peut résumer l’ensemble ainsi : Le Moineau Rouge, ou un film tellement érotique que ses deux acteurs ont tourné leur scène de sexe… habillés (sic). Besoin d’en dire davantage ? Le Salt de Philip Noyce n'aurait pas fait moins racoleur en dénudant Angelina Jolie dans une scène et demi. Que la réputation sulfureuse du film n’effraie donc pas les cinéphiles prudes : c'est du flan. Ça ne l'aurait peut-être pas été dans les années 90. Là, ça l'est.


Pour être encore plus précis, Le Moineau Rouge, réalisé sans génie mais avec efficacité et lisibilité (exit le montage foireux du premier Hunger Games, précédant film de Francis Lawrence), ainsi qu’avec une véritable fascination pour le corps de son actrice (quoiqu’on n’atteigne pas le niveau de Mother!...), ne s’intéresse vraiment qu’à une chose : le mystère de son héroïne. Jusqu’au tout dernier plan, assez poétique. Ignorons toute la partie dans l’espèce de centre de formation de supers-espions, avec ses dialogues ineptes (« La vie ne fait pas de cadeau, votre corps est une arme », etc. ) débités sans conviction par une Charlotte Rampling faisant sa Charlotte Rampling pour la millième fois, que Lawrence filme d'ailleurs avec la passion d’un réalisateur de documentaire sur une usine de fabrication d’allumettes. C’est la suite, à Budapest, qui séduit, forte du duo que J-Law forme avec Joel Edgerton, toujours excellent dans les rôles d’ours modérément léché qui veut bien faire, mais ne tourne pas complètement rond. L’alchimie prend entre les acteurs, à l’exception de cette regrettable pseudo-scène d’accouplement susmentionnée, et la mécanique des coulisses, d’un cynisme glaçant comme espéré, fait du film une sous-le Carrérie (hum) fort acceptable – voir tout ce qui se passe du côté de l’oncle Vanya, bien glauque, joué par un Matthias Schoenaerts aimable ce qu’il faut. Tout dépend de notre niveau d'adhésion à la décision de garder les intentions de l'héroïne floues jusqu’à la quasi-fin : ça a empêché certains de s'attacher au personnage et donc de rentrer dans l’histoire ; pas l’auteur de ces lignes.


Alors, si malgré ces défauts, malgré la grandiloquence par moments touchante d'un film qui se prend trop au sérieux, et malgré la longueur (on comptera vingt bonnes minutes en trop), vous êtes partant, Le Moineau Rouge vous fera l’effet d’une série B… quel était le mot, déjà ? Ah oui : sympatique. Vous apprécierez même la grandiloquence du twist susmentionné, porté par la musique de James Newton Howard, compositeur de facture moyenne qui livre ici une de ses meilleures BO (avec, fun fact, celle de Salt). On attendait la fin pour aborder cette condition sine qua non : contre toute attente, alors qu’on s’attendait à ce qu'elle souffre avec ses joues de hamster de la comparaison avec une Charlize Theron, J-Law se tire avec les honneurs de ce guêpier. non pas qu'on la trouvera à 100% crédible, mais son implication physique et les efforts surhumains qu'elle déploie pour intimider nous en donnent envie, et c'est suffisant (hop). La sobriété de sa performance, que certains interprètent à tort comme un manque d'expressivité, convient parfaitement au mystère des motivations de son personnage. Après Mother!, fifille continue donc de surprendre, et on lui souhaite de continuer ainsi.

ScaarAlexander
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le 24 avr. 2018

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Scaar_Alexander

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