En 1957, John Sturges signe une nouvelle adaptation du légendaire règlement de comptes entre les Earp et les Clanton d’OK Corral. Il s’attaque à un gros morceau ; à peine dix ans plus tôt, c’est le grand John Ford lui-même qui avait livré sa version de la fusillade en signant – comme à son habitude – un western magistral. Plutôt qu’une critique, je vais m’attacher ici à développer des points que j’ai trouvés intéressants dans le Sturges, en proposant aussi une comparaison avec le Ford, « La Poursuite Infernale ».


Selon les versions de l’histoire, il y a des constantes : Wyatt Earp, le pétillant Doc Holliday, Ike Clanton, le lieu du combat… et des variables : le nombre de frères impliqués (de chaque côté), le nombre de victimes, les raisons de l’affrontement, etc. Ford fait de l’antagonisme entre les Earp et les Clanton l’ossature de son film. La vengeance constitue alors la motivation première de Wyatt, qui n’accepte le poste de marshal que pour mettre fin aux agissements du clan adverse. Le film débute avec l’arrivée des frères Earp en ville, et si Doc Holliday brille par son charisme, il ne fait pas moins figure que de personnage secondaire. Sturges place quant à lui Holliday au centre du récit, démarrant son histoire bien en amont de la fameuse fusillade. Le film va ainsi se focaliser davantage sur le développement du personnage et de sa relation avec Wyatt Earp.


L’on dit que les contraires s’attirent. Earp a tout de l’homme de loi pacifique, qui fait respecter l’ordre, et impose même aux nouveaux arrivants de se défaire de leurs armes. À l’opposé, Holliday est un électron libre, une figure du chaos qui n’éprouve que dédain pour les forces de la loi. En apparence bien différents, les deux hommes constituent au final deux facettes de la même pièce. Tous deux vivent par le revolver. Lorsqu’Earp résout le conflit pacifiquement en désarmant son adversaire, Holliday l’envenime, pousse son ennemi à dégainer pour le tuer. La voix calme et sereine de l’un fait écho à la gouaille rigolarde et moqueuse de l’autre. Malgré cela, les deux hommes sont amis, une amitié particulière, cimentée d’un côté par l’admiration qu’Earp voue au côté libre et sauvage du Doc, chérie de l’autre pour le respect qu’Holliday a pour Earp, le seul à le traiter d’égal à égal, alors que tous les autres le honnissent ou l’élèvent sur un piédestal. On notera que, dans les deux cas, la flamboyance d’Holliday éclipse la relative platitude d’Earp – quels que soient les interprètes.


Le choix des personnages féminins constitue aussi l’une des variables dans l’interprétation du mythe. Chez Ford comme chez Sturges, elles sont au nombre de deux, et l’on retrouve, dans les deux cas, l’opposition de la "vraie dame" et de la femme de moralité douteuse. Complément de l’opposition entre Earp et Holliday, le premier est attiré par la première, tandis que le second est plus ou moins lié à la dernière. Chez Ford, les deux femmes possèdent une histoire commune avec le Doc, la dame représentant son passé, tandis que l’autre incarne sa décadence présente. Sturges opte pour une construction différente. Il introduit le personnage de "Big Nose" Kate (notamment reprise par Morris dans son Lucky Luke), amourachée d’Holliday et dédaignée par celui-ci. L’autre femme, Laura Denbow, constitue une motivation à raccrocher les armes pour Earp (et accentue donc le déchirement de Wyatt lorsque le devoir familial l’impose de partir aider son frère). Le traitement des femmes est également différent ; Ford tend vers un certain équilibre, redonnant dignité et courage au personnage de Linda Darnell. À l’inverse, il n’y a nulle rédemption possible pour Kate chez Sturges. Dans les deux cas, ce sont ces femmes qui sont à l’origine de la fusillade.


Il est intéressant de constater, pour l’anecdote, que les deux films ont donné lieu à de brillantes bandes originales, supportées par des chansons géniales. Chez Sturges, c’est Dimitri Tiomkin aux commandes, alors, forcément… ! Et qu’on se rassure, le combat final est aussi riche et dynamique chez Ford que chez Sturges. L’amateur de duels, qui n’attend que cela, y trouvera largement son compte !


Ce qu’il faut retenir, c’est que les deux versions du règlement de comptes entre les Clanton et les Earp proposés par Ford et Sturges, plutôt que concurrentes, se complètent très bien. Si le maître du western s’en tient à une version plus classique, Sturges met davantage en avant le personnage de Doc Holliday – clairement le plus intéressant de l’histoire. Sur la forme, le noir et blanc léché de Ford et sa science de la composition lui donnent l’avantage. Au capital charisme, en revanche, le trio Lancaster – Douglas – Fleming (surtout les deux derniers) l’emporte face à des Fonda – Mature – Darnell moins flamboyants (malgré toute l'affection que j'ai pour cette dernière, force est de constater qu'elle et Fleming ne jouent pas dans la même cour). Enfin, ce sont de bons films, riches et divertissants, loin d’être spécialement réservés aux amateurs de western. Au final, l’attitude la plus sage à adopter consiste sans doute à voir (et apprécier) les deux.

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le 18 sept. 2015

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Aramis

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