Sixième long-métrage du réalisateur espagnol Alejandro Amenábar, créateur des sublimes Ouvre les yeux (1997) et Les Autres (2001), Régression (2015) est l’occasion pour celui-ci de revenir à un cinéma qu’il affectionne. En effet, bien qu’Amenábar se soit construit une certaine réputation en réalisant des films d’épouvante mêlés à une dose de thriller, ses derniers films semblaient témoigner d’une certaine volonté de s’essayer à autre chose qu’il s’agisse du drame larmoyant Mar Adentro (2004) ou du péplum Agora (2009). Voir le réalisateur revenir à un genre dans lequel il avait fait ses premiers pas avait quelque chose d’excitant ; mais l’on pouvait également redouter, de sa part, une certaine forme de répétition au sein de son œuvre. Car s’il avait mis de côté le genre du thriller pendant un temps, cela signifiait sans doute qu’il en avait fait le tour. En ce sens, on peut se poser la question suivante : Amenábar revient-il au genre qui a contribué à le faire connaître par automatisme, ou a-t-il véritablement quelque chose de nouveau à nous raconter ?
Dans les années 90, un dénommé John Gray se rend au commissariat de sa petite ville paumée du Minnesota afin de répondre d’un crime dont il est accusé. La personne qui accuse John n’est autre que sa propre fille, Angela, qui affirme avoir été violée par son propre père. Cependant, John ne se souvient de rien : il ne se pense pas capable, et il ne veut pas croire, qu’il puisse commettre une telle chose, mais il semble tout de même avoir des doutes sur ses propres agissements. Avec l’aide de l’inspecteur Bruce Kenner et du docteur Kenneth Raines, John va alors expérimenter la régression, une technique psychologique de manipulation des souvenirs, qui consiste à quasi-endormir le sujet afin que celui-ci réponde pratiquement par instinct aux questions des inspecteurs. Malheureusement, l’inspecteur Kenner va vite se rendre compte que cette histoire, qui ne semblait concerner qu’une famille au départ, cache un mystère d’une plus grande importance.
Tout d’abord, force est de constater que Régression ressemble, en apparence, bel et bien à un film d’Amenábar. La photographie, qui parvient à faire ressortir le côté sombre de chaque couleur utilisée, rappelle sans problème au spectateur qu’il s’agit là d’un thriller ; la réalisation, bien que discrète la plupart du temps, est efficace quand elle doit l’être et compte quelques choix de cadrage assez judicieux, notamment cette vision subjective que le film nous assène en début de film, un choix qui sera répété avec pertinence à un certain stade du récit ; et on y retrouve l’ambiance mystérieuse qui parsemait le récit des trois premiers longs-métrages d’Amenábar. D’ailleurs, comme dans tous les films de ce-dernier, la thématique de la perte de la réalité est présente une fois de plus : le point de vue, si particulier des personnages, vient aliéner la réalité de ceux-ci, qu’il s’agisse d’un homme tétraplégique comme dans Mar Adentro, d’une revenante vue dans Les Autres, ou encore d’un être brisé et peu à peu dominé par la folie, à l’image du protagoniste principal de Ouvre les yeux.
Et cette perte de réalité, Amenábar souhaite également la transmettre au spectateur, afin que celui-ci, à l’instar des personnages qu’il va suivre, trouve un certain salut dans la résolution de ce mystère omniprésent. Cette recherche maladive d’une quelconque solution, quitte à ce qu’elle soit décevante, peut faire penser au personnage principal de Under the Silver Lake (2018) de David Robert Mitchell, pour qui rien ne semble avoir d’importance, si ce n’est le fait de s’enfoncer de plus en plus dans l’obscurité. Cependant, chez Amenábar, les résolutions sont toujours volontairement décevantes. Tout du moins, elles le sont pour les protagonistes, qui auraient mieux fait de ne pas aller au bout de leur quête de vérité, là où le spectateur y verra une habileté d’écriture saisissante. En tout cas, c’était le cas jusqu’à ce Régression.
Si, lors de mon résumé, j’ai essayé de rendre le synopsis un minimum intriguant, c'est parce que le film peine à intéresser le spectateur. D’une enquête qui ne semblait pas inintéressante, on passe à une sorte de film noir bateau dans lequel tout paraît faux, le tout saupoudré de diverses théories du complot. Régression veut nous faire croire à une société manipulée par des personnes satanistes, mais il représente ceux-ci comme n’importe quel réac de soixante piges se les représenterait : les types sont encapuchonnés, ils forniquent dans tous les coins, et ils mangent des bébés. Ah, et y’a un chat possédé à un moment, avec des yeux rouges et tout. En fait, j’ai vraiment pensé à Hot Fuzz (2007) tout le long du film, et je ne pense pas que c’était l’effet voulu par le film.
Bien que la plupart des acteurs présents dans le long-métrage aient toute ma sympathie, on a tout de même l’impression qu’ils se contentent du minimum. Ethan Hawke plisse les sourcils 90% du temps, Emma Watson adopte le même air apeuré qu’elle arborait dans la moitié de la saga Harry Potter (à peu près la seule expression faciale qu’elle joue correctement) en priant pour que ça fasse le taf, et même le merveilleux David Thewlis ne semble même pas se donner la peine de composer un personnage. Il faut dire aussi que le script est desservi par des dialogues incroyablement plats, et par une caractérisation des personnages inexistante. Le rythme semble lui-même inégal, faisant avancer son récit parfois trop vite, d’autres fois trop lentement. Le peu d’effets horrifiques dont le film dispose ne s'avère absolument pas marquant, voire redondant, et l’on retiendra seulement une scène dans laquelle l’inspecteur Kenner erre dans une grange vide, alors qu’il écoute, via une cassette, les sévices que certains satanistes ont opérés sur des victimes innocentes au sein de cette grange. Enfin… 1h47 de film pour une seule bonne scène, je trouve que le ratio n’est pas suffisant.
De plus, comme je l’ai dit précédemment, ce n’est pas la fin du long-métrage qui parviendra à rattraper la banalité de l’ensemble, ce final faisant retomber toute l’intrigue exposée jusque-là comme un soufflé, alors qu’il peut être résumé à une phrase du type : "je t’ai eu lol, y’avait rien de vrai". Quelque part, cette fin est raccord avec l’idée que j’exposais précédemment, comme quoi les résolutions d’intrigue d’Amenábar sont toujours décevantes. Comme je l’ai dit, elles n’étaient décevantes que pour les protagonistes, et non pour le spectateur ; peut-être qu'Amenábar a voulu emmener son cinéma plus loin en élargissant cette déception jusqu’au spectateur. L’idée serait intéressante, mais l’impression de regarder un film pour rien reste tout de même très désagréable.
Bien entendu, Régression est loin d’être un film catastrophique, l’expérience qu’Amenábar a acquis au cours de sa filmographie nous garantissant au moins un emballage correct. Cependant, il s’agit sans doute de son long-métrage le plus faible, et cela permet de relativiser quant à son éloignement progressif du genre du thriller : son prochain film, Lettre à Franco (2020) étant un drame historique, peut-être pourra-t-on éviter une autre création aussi banale que ce Régression.