A l’instar des contes de fées pour les enfants du XIXe, le genre horrifique a toujours été efficace pour illustrer les angoisses et les peurs qui se cachent dans notre psyché sous une forme métaphorique. Ainsi derrière sa façade satanique L’Exorciste de William Friedkin peut-être vue comme le récit de la panique qui saisit les parents devant la maladie mentale de leur enfant. C’est une métaphore similaire qui est au cœur de la proposition fantastique du premier film (produit par Jake Gyllenhaal et les frères Russo) de la réalisatrice australienne japonaise Natalie Erika James, qui traite au travers du prisme d’une histoire gothique moderne, nos angoisses liées à la maladie mentale héréditaire et à la sénilité. Elle écrit une histoire à combustion lente qui est aussi un film dramatique qui réunit sous le même toit trois générations de femmes. Le scénario de James et de son coscénariste Christian White dépeint une famille aux prises avec la mort et la dégradation psychologique. Edna (Robyn Nevin) commence à se détériorer mentalement depuis la mort de son mari. Elle disparaît, mais après que sa fille Kay (Emily Mortimer) et sa petite-fille Sam (Bella Heathcote) se soient précipitées dans l’ancienne maison familiale, elle resurgit mystérieusement. Ne pouvant obtenir aucune réponse d’Edna sur l’endroit où elle a été, ni sur ce qu’elle faisait, les deux femmes décident de rester auprès d’elle quelques temps mais bientôt Edna commence à avoir un comportement étrange et une présence sinistre semble investir la maison.


Il n’y a pas de rebondissements spectaculaires ou d’artifices choquants dans Relic, ni beaucoup de sang, James excelle à faire jaillir la peur et la tension d’une conversation ordinaire et utilise le cadre du film de possession pour arriver à quelque chose de simple mais bouleversant: l’horreur de voir un parent se détériorer lentement. Les éclats de tendresse occasionnels qu’Edna montre à Kay et Sam cèdent rapidement la place à une colère profonde et implacable, dont certaines sont enracinées dans des disputes et des ressentiments passés. Quand Sam assène à sa mère: « Ce n’est pas comme ça que ça marche, votre mère change vos couches et ensuite vous changez les siennes? » c’est une reconnaissance de la façon dont le début de la vie est intimement lié à la fin. Nous voyons cela plus loin après le retour inexplicable d’Edna, dans une scène clé, où Kay doit vérifier sous le lit pour rassurer sa mère qu’aucune présence démoniaque se cache dessous. Pourtant quelque chose s’y cache en effet et ce refus de Kay de le reconnaître constitue une allégorie miniature de la thématique principale du film, le refus de reconnaître pleinement la démence de sa mère et d’accepter sa réalité. James emploie les conventions de l’horreur gothique comme des symboles de la maladie mentale qui prend corps et devient une entité vivante et perverse dans la vie de la famille. La démence hante les couloirs, répand sa moisissure sombre jusqu’à ce que finalement, Edna se transforme elle-même en une figure effrayante.


Dans une des séquences les plus effrayantes et ingénieuses du film, Kay et Sam se retrouvent piégées au cœur de la maison dans un labyrinthe en constante évolution de couloirs et de passages cachés, qui semble refléter l’emprise de plus en plus instable d’Edna sur la réalité. On imagine que c’est là qu’Edna qu’on a jamais vue quitter la maison pendant une semaine, a erré durant sa disparition. Ces couloirs et ces pièces qui deviennent désormais un labyrinthe sombre, humide et tapissé de moisissure noire sont la matérialisation du processus de dégradation de l’esprit d’Edna qui ne reconnait plus la demeure qu’elle a héritée de sa famille. Le fait que ces couloirs pourrissants se trouvent à l’étage renvoie à l’idée de la maison hantée comme image d’un corps, l’étage symbolisant la tête, siège de la démence d’Edna. C’est finalement en arpentant elle-même les recoins sombres de sa maison d’enfance que Kay est enfin capable de comprendre ce qui se passe, comme ce n’est qu’une fois que nous comprenons la maladie qui afflige nos proches que nous pouvons commencer à vraiment les aider et faire ce qui le mieux pour leur intérêt. Trop souvent les films d’horreur font des malades mentaux des méchants plutôt que de dépeindre l’horreur de la maladie elle-même. La transformation d’Edna conduit à une séquence à la fois tragique et inquiétante où se mêle beauté et horreur. Kay cherche à retrouver l’humanité de sa mère sous des couches de chair qui s’écaillent. L’aspect héréditaire est une dimension importante de Relic qui présente avec un « double effet » de maison hantée. La fenêtre d’une ancienne cabane qui se trouvait à l’arrière de la maison, démolie depuis que l’arrière grand père y soit mort abandonné de tous à sa maladie mentale, orne la porte de la maison familiale. C’est à travers cet « œil » que cette maladie infecte le reste de la famille, transmettant sa démence au sens figuré par le biais de la moisissure sombre qui pousse sur les murs et par la suite sur les corps et fait écho au corps de ce grand-père qu’on a laissé pourrir. Les derniers moments du film là encore en utilisant une figure de style horrifique bien connue, montrent la nature héréditaire de la démence d’Edna.


Stylistiquement le film de Natalie Erika James est au carrefour de nombreuses influences, on pense évidemment au cinéma d’Ari Aster, à l’horreur domestique d’Heredite en particulier et ses lourds secrets de famille qui contaminent le présent. On ressent également l’influence de l’horreur nippone, celles des spectres chevelus et des malédictions implacables de Ringu oui Juh-On, la présence envahissante de l’eau renvoie au Dark Water d’Hideo Nakata. Il y a également des échos de l’horreur corporelle à la David Cronenberg, avec les chairs d’Edna qui se défont lentement à mesure qu’elle semble possédée. L’horrible décomposition du corps comme manifestation physique de la vieillesse fait écho à celle de Seth Brundle dans La mouche, métaphore de la maladie. On pense aussi à Shining , la labyrinthique maison familiale étant comme l’Overlook une manifestation du mal. Le film est magnifiquement interprété en particulier par Robyn Nevin dont l’Edna oscille entre des moments de clarté aiguë, de flou et de rage soudaine Sa performance porte habilement toutes les humeurs oscillantes de son personnage et son désespoir déchirant alors que son esprit commencent à s’éteindre. Elle est à la fois terrifiante et attachante. Relic n’est pas parfait, le film s’essouffle un peu dans son acte final qui pourra apparaitre à certains trop ésotérique. Mais Relic réussit à faire naitre un sentiment de malaise et de terreur croissant et surprend surtout par l’émotion qu’il dégage . Ce n’est pas une chose facile pour un réalisateur d’équilibrer la terreur et le chagrin et laisser ces deux registres émotionnels coexister. James réalise un film inquiétant et finalement dévastateur sur ce que signifie aimer quelqu’un sans condition, même s’il a perdu le pouvoir de vous aimer en retour.

PatriceSteibel
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le 5 nov. 2020

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PatriceSteibel

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