Un bel univers stérilisé par un océan de sel

Franchement j’ai trouvé l’endroit sympa.
Mais vraiment…


Ce premier long plan-séquence à travers une ville de Miami rognée par la montée des eaux, je dois bien avouer que ça m’a fait mon petit effet.
Il ne s’agissait pas seulement d’un vague visuel sensationnaliste à la Jour d’après mais bien d’une narration d’espace.
…Et ça j’ai trouvé ça plutôt chouette.


Car au départ, sur les premières images, on s’interroge si la ville est abandonnée ou non. Et puis petit à petit on commence à constater que les vitres sont intactes, les bâtiments plus ou moins entretenus…
Au pied des grandes tours naviguent barges et canots comme dans une sorte de Venise de béton.
La nuit les lumières s’allument, éclairant inégalement les endroits selon leur emplacement. Ici les toits semblent avoir été réaménagés à la hâte tandis que les digues peinent à repousser les assauts des vagues.
Et quand le plan décide enfin de se poser quelque-part c’est au milieu d’une rue aux airs de gigantesque gouttière ; un canal involontaire dans lequel on a pied et dont tout le monde semble avoir fini par s’accommoder.


Ah ça oui, cet endroit avait une personnalité certaine. Pour moi c’est indéniable.
Et ce qui semblait chouette avec ce Réminiscence c’est qu’au-delà du lieu on semblait vouloir nous raconter une vraie histoire ancrée dans un quotidien.
…Une histoire à part. Une histoire à hauteur d’hommes. Une histoire sûrement ordinaire mais dans laquelle allait sûrement suinter l’état d’esprit qu’imbibait cet endroit pourri…
Pourri au sens propre comme au sens figuré…


Malheureusement il ne faut pas attendre longtemps pour se rendre compte que la promesse ne sera pas tenue.
Non pas que ce film entende se défausser sur sa volonté de raconter une histoire à hauteur d’hommes – car sur ce point Réminiscence s’en tient à son audace première – mais par contre le souci c’est que cette histoire n’arrive jamais à s’imprégner pleinement de son lieu et plus généralement de son univers.
Trop plate. Trop basique. Trop fade. L’intrigue manque de sel au point de laisser cet endroit totalement inanimé.
…Ou plutôt non. Le problème avec le sel c’est qu’en fait il y en a trop.
Trop au point de tout stériliser sur son passage.
Trop au point qu’au-delà de l’océan ne subsiste que le désert.


Rien n’arrive à vivre dans ce lieu, la faute à un état d’esprit qui relève bien plus de l’usinage que de l’art à part entière.
Rien ne fait vrai. Tout fait plastique.
Les personnages sont stéréotypés au possible…
Les dialogues qui font illusion quelques minutes sombre en fin de compte assez rapidement dans la simple enfilade d’illustrations et de commentaires… Parfois même à la voix-off, symbole ultime à mes yeux de la paresse narrative.
La mise-en-scène qui aspire à un rythme soutenu– agrémentant régulièrement les phases de dialogues de bagarres et autres poursuites –ne fait qu’étouffer tout élan et asphyxie toute dynamique…


Car il faut que ça parle tout le temps dans ce film ; que les informations tombent régulièrement et que le tout soit en permanence accompagné d’une musique récurrente, laquelle étant censée donner du relief à l’ensemble…
Seulement voilà – petite note à Lisa Joy, la réalisatrice de ce film – si une fois arrivée à la table de montage le film lui est apparu si désespérément plat, eh bien qu’elle sache que ça n’avait rien à voir avec le manque d’action ou de musique…
Non, le problème venait juste du fait qu’il n’y avait rien dans son film, à part du vent et pas mal d’eau de mer.


Pourtant – je ne dis pas – il y avait clairement moyen de faire quelque-chose avec ce parti-pris qui consistait à mobiliser tous les codes du vieux polar ; quitte à devoir en gérer les stéréotypes les plus éculés.
Mieux que ça, pour ma part, je trouve que cet aspect-là aurait clairement pu servir de liant pour unifier l’ensemble de l’œuvre.
Parce qu’en effet, n’oublions pas que le film s’appelle « Réminiscence » et qu’au cœur du propos se trouve cette idée que, dans un monde à l’agonie, il est très facile de se laisser gagner par un profond sentiment de « c’était mieux avant », au point de ressasser son passé au lieu de se projeter vers son avenir…
Et c’est d’ailleurs là que le principe de revivre ses souvenirs aurait pu prendre toute son importance…
…Or c’est justement sur cet aspect-là que le scénario révèle toutes ses lacunes.


Parce que, l’air de rien, il y avait carrément moyen de lier cette intrigue de marchandage de souvenirs et de monde à l’agonie…


On aurait pu montrer comment le business du souvenir participait à la léthargie générale face à une situation s’empirant de jour en jour.
A vouloir sans cesse vouloir s’accrocher à ces bribes de ce qu’était le monde d’avant – et que cette Miami incarne au fond, c’est-à-dire un monde révolu qu’il conviendrait résolument d’abandonner – la société ne prend pas la peine de réfléchir à ses possibilités pour demain et – surtout – de questionner les vrais problèmes qui la rongent au moment présent.
Or, pour peu que le scénario ait pris la peine de lier le business du souvenir à celui des bailleurs qui auraient monnayé ces premiers en échange de nouvelles terres que le tour aurait alors été joué. On obtenait ainsi une parfaite parabole de la société d’aujourd’hui.
La boucle typique de l’œuvre d’anticipation aurait été bouclée.


Seulement au final, dans Reminiscence, rien de tout ça.
En lieu et place d’une intrigue vraiment englobante, on se retrouve avec quelque-chose qui – non seulement ne fait pas corps avec l’univers proposé – mais qui en plus est d’une faiblesse assez consternante.


Une banale histoire d’amour comme fil conducteur ? Sérieux ?
…Et le tout ficelé autour d’un meurtre commis par un gros riche pour une simple et banale histoire de succession ?
Non mais franchement ! Il est où le lien avec l’idée de ressasser son passé ?!
…Dans le grand amour perdu ?
…Dans le fait que toute cette affaire ait permis à Watts de renouer avec sa fille ?
Non mais vraiment ?!
Woh !


Ce choix est d’ailleurs tellement pathétique que si on retirait l’univers de cette Miami à moitié engloutie que ça ne changeait finalement rien. L’histoire aurait pu rester la même.
Ça pour le coup c’est le signe que la dimension « anticipatrice » de l’univers n’a en fait absolument pas été exploitée.


En fait, ce qui est assez affligeant avec ce film – outre le fait que chacune de ses composantes soit désespérément lisse et creuse – c’est qu’en plus de ça ils n’arrivent même pas à faire un tout.
Rien ne colle. Rien ne va. Rien ne sauve ce piteux long-métrage du marasme…
Enfin rien… Rien à part – encore et toujours – ce lieu.


Parce que oui – et c’est le plus rageant – quand bien même ce film est d’une fadeur sans nom, reste ce décor qui est toujours là – qui ne prend jamais vie – mais qui ne demande que ça.
Le pire c’est que des idées – ne serait-ce que visuelles – sont régulièrement posées : le marché flottant, les navettes sur le bord de l’eau, le métro aérien qui surfe sur les flots, la maison sur pilotis isolée au milieu de ce que furent autrefois les Keys, les planchers qui se dérobent parfois sous les pieds à force d’avoir été usés par les eaux, les quartiers de riches endigués…
Il y avait plein d’idées dans cet univers et dont beaucoup ont été clairement et malheureusement sous-exploitées.


Au final – et contrairement à ce qu’avait laissé suggérer l’intro – jamais ce Miami atypique n’est finalement parvenu à n’être autre chose qu’un décor sensationnaliste, un détail relégué systématiquement au second plan.
Alors tant pis.
Je me dois donc d’acter ceci – malgré cet univers (potentiellement) séduisant – Reminiscence fut et restera pour moi un piètre spectacle.
Il y avait pourtant beaucoup d’éléments là-dedans qui auraient pu donner lieu à un film imparfait peut-être mais charmant cependant.
Seulement voilà, malgré les beaux décors, malgré la belle brochette d’interprètes et malgré cette atmosphère des années 30 plutôt charmantes, Reminiscence est un film désespérément stérile, annihilé qu’il a été par les quantités industrielles de sel dont a usé Lisa Joy pour essayer de relever le goût de son plat.
Entreprise vaine finalement.
Vaste fiasco au demeurant.
Voilà de quoi verser une petite larme tout de même au regard des quelques audaces du projet…


…Enfin une petite larme…
Devrais-je dire une simple larme de crocodile.

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le 25 août 2021

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