Pour cause de diverses passions dévorantes, l’auteur de ces lignes a succombé à une procrastination littéraire et a mis de côté un roman de Maylis de Kerangal pourtant chaudement recommandé : Réparer les Vivants.


Grand bien lui en a pris. Car c’est sans aucun a priori de sa part que le film éponyme de Katell Quillévéré sera vu. Aucun a priori, si ce n’est le bon souvenir des deux précédents longs métrages de la bretonne, surtout celui d’Un Poison violent, qui recelait déjà les germes d’un talent naissant, et dans une moindre mesure celui de Suzanne, un film plus costaud mais plus consensuel aussi qui déroule la vie de Suzanne (Sara Forestier) sur près de vingt-cinq ans et qui a, entre autres, permis à son actrice Adèle Haenel, d’être récompensée par le César de la meilleure actrice dans un second rôle.


Réparer les vivants est un film encore plus costaud, avec un casting all-star tout simplement impeccable, avec la présence d’Alexandre Desplat aux manettes, et bien sûr avec le roman multi-primé de Maylis de Kerangal comme matériau de base. L’histoire paraît pourtant assez simple, pour ne pas dire simpliste, celle d’un adolescent victime d’un grave accident de voiture d’une part, et d’une femme malade qui attend une éventuelle transplantation cardiaque d’autre part.


Katell Quillévéré frappe fort dès le début du film. Simon (Gabin Verdet), un adolescent de 17 ans, quitte sa belle endormie au petit matin en s’échappant par la fenêtre. On le voit virevolter sur son vélo pour rejoindre deux de ses amis et partir avec eux en camionnette pour une séance matutinale de surf. Les séquences qui s’ensuivent sont parmi les plus belles du film, filmées pour la majeure partie en contre-plongée des rouleaux, mettant en exergue l’ivresse du plein-air et de la liberté, la puissance de la mer, la beauté de la jeunesse. On sent comme une symbiose dans ces plans-là, entre le montage, la photo, la mise en scène. Du grand art qui confirme la sensibilité de la jeune cinéaste.


Comme dans un rêve qui prolonge le côté très sensoriel de la séance de surf, l’accident arrive, inévitable et soudain, avec une esthétique incroyable dans cette mer de bitume. Une violence hors-champ qui sort le spectateur de l’engourdissement féérique des précédentes scènes. A partir de là, le film s’active et s’ancre dans le réel, dans la dure réalité. L’annonce aux parents, l’éventualité d’un don d’organes, et toute la trajectoire qui va mener jusqu’au final, tout est relaté d’une manière très précise, sans pour autant que le rythme soit mené tambour battant. Même si les choses sont décrites d’une manière presque clinique, la cinéaste instille de petites respirations très bien amenées pour équilibrer le récit.


Ainsi la cinéaste agit-elle par exemple, lorsque Thomas Rémige (Tahar Rahim), l’assistant du médecin en charge de Simon aux urgences (Bouli Lanners, décidémment surprenant dans son jeu plus protéiforme), se vide la tête après une très éprouvante discussion avec les parents de Simon, en regardant sur Youtube une vidéo sur des chardonnerets rares qui ne vivent et piou-pioutent qu’à Oran. Ainsi, lorsque lesdits parents (Kool Shen et Emmanuelle Seigner, parfaite dans le rôle de la mère digne, mais écrasée de douleur) s’échappent de l’indicible en allant faire un tour irrationnel sur le lieu de travail du père, un lieu de la vie aussi, avec son thermos et son réchaud. Ainsi encore, lorsque Jeanne (Monia Chokri, lumineuse), l’infirmière en charge du jeune Simon, s’évade d’un travail difficile par le biais de pensées érotiques, surmontant des visions de mort par celles de l’amour… En plus de ponctuer le récit, un tel procédé permet une caractérisation très intéressante des personnages. De fait, le personnage de Claire Méjean, la récipiendaire potentielle du don de vie, interprétée sobrement par Anne Dorval, subit le même habillage: on le dit quasi-inexistant dans le roman, ici, le personnage est affublé d’une histoire d’amour et de deux grand fils qui ont eux-mêmes des bribes d’existence, dont rien de moins que la jeune étoile montante Finnegan Oldfield, vu récemment chez Bertrand Bonello (Nocturama).


Katell Quillévéré s’est entourée des meilleurs acteurs du moment, de Tahar Rahim qui offre son visage presque enfantin en contrepoint d’une situation plus qu’éprouvante pour tous, et sa douceur dans une scène d’adieu bouleversante, à Dominique Blanc et Bouli Lanners, sobres, précis et bienveillants comme leurs personnages. Elle a pris le maximum d’assurances pour se mettre au service d’un sujet qui semble lui tenir à cœur. Et elle fabrique une chaîne bienveillante portant cette histoire de transplantation, de transmission même, devrait-on dire, avec un foule de rôles ténus mais indispensables : deux tous jeunes médecins (Karim Leklou et Alice de Lencquesaing, émouvants dans des rôles qui semblent les impressionner sans leur faire perdre leurs moyens), des policiers qui escortent un taxi par-ci, le pilote d’un avion privé par-là, tous au service de la même cause, et cet homme, un des responsables de l’agence de dons d’organe, marchant à contre-courant d’une foule compacte de comuters d’où la cinéaste le sort littéralement par un bel effet de montage.


C’est cette idée de chaîne humaine à l’intérieur de laquelle circule la vie qui rend Réparer les Vivants si juste, si enthousiasmant, si émouvant. Un film qui, malgré les moyens déployés est peut-être le plus intimement proche de sa réalisatrice et qui révèle le mieux la grande cinéaste qu’elle est en train de devenir.


Retrouvez aussi cette critique sur notre site CineSeries-mag.fr

Bea_Dls
8
Écrit par

Créée

le 17 nov. 2016

Critique lue 272 fois

1 j'aime

Bea Dls

Écrit par

Critique lue 272 fois

1

D'autres avis sur Réparer les vivants

Réparer les vivants
socrate
5

Une bonne publicité mais un mauvais film

Autant le dire de suite, je n’ai pas lu l’ouvrage de Maylis de Kerangal. Il ne sera donc ici question que du film, et pas de l’adaptation du roman. Pour moi, c’est une excellente publicité pour la...

le 26 nov. 2016

23 j'aime

9

Réparer les vivants
gwennaelle_m
10

Critique de Réparer les vivants par gwennaelle_m

J’ai rarement vu un film d’une telle beauté portant sur un thème aussi personnel qu’universel qu’est le don d’organe. Les premières scènes nous plongent totalement dans l’univers un peu sacré du...

le 23 oct. 2016

20 j'aime

3

Réparer les vivants
eloch
6

De battre son cœur ne s'est pas arrêté...

Il y a quelques années, j'ai participé à un prix littéraire qui a distingué le roman de Maylis de Kerangal : Réparer les vivants. C'était un roman prenant, magnifique, tremblant, vibrant. Avec une...

le 9 nov. 2016

17 j'aime

Du même critique

Les Poings contre les murs
Bea_Dls
9

Punch drunk Love

Ben ouais, notre héros abruti de violence s'appelle Love, ce qui ne doit pas être un hasard... Mais revenons à nos moutons, ou plutôt nos brebis...galeuses. Le film, bizarrement appelé les poings...

le 6 juin 2014

35 j'aime

5

Irréprochable
Bea_Dls
9

Les Racines du Mal

Au fur et à mesure que le film avance, Constance (Marina Foïs), l’héroïne d’Irréprochable, héroïne si on peut dire, semble gagner dans sa chevelure blonde (« tu t’es prise pour Catherine...

le 12 juil. 2016

28 j'aime

2

Toni Erdmann
Bea_Dls
5

Critique de Toni Erdmann par Bea Dls

La première scène de Toni Erdmann donne le ton du film : des blagues insondables tellement c'est lourd, une mise en scène inexistante, un acteur qui cabotine à fond. Comme on en a vu d'autres, des...

le 20 août 2016

22 j'aime

1