[Article contenant des spoils]


Au début, ce sont deux gamins qui creusent dans le sable : la guerre n’est qu’un jeu excitant. Le but : trouver un fusil, véritable sésame pour pouvoir rejoindre les partisans dans la forêt. Déjà, un avion dans le ciel, qu’on reverra régulièrement, lance son avertissement.


La mère, elle, sait, et elle supplie son fils de ne pas partir. Mais les enfants ne peuvent pas comprendre, à l’image de ces deux adorables jumelles hilares. Face aux officiers, la mère devient folle de douleur, première scène poignante.


Rien n’y fait, notre héros rejoint les partisans dans la forêt. Là encore, l’allégresse règne, une allégresse bon enfant, qu’on pourra opposer à celle des nazis dans la scène du pogrom. Photo foutraque, où les combattants affichent leur foi dans la victoire. C’est là que Florya découvre une jeune fille, Glasha, en un long gros plan en contre plongée, dont il tombe amoureux. Après avoir été rejeté par les combattants, laissé au village avec des pompes trouées, Florya, humilié, retrouve la jeune fille. Échange insouciant, puéril avec celle-ci, de nouveau montrée dans un gros plan mystérieux. On retrouvera cette insouciance dans une scène admirable, muette, où les deux tourtereaux agitent des arbres dans la lumière pour se doucher. Une sorte de jardin d’Eden avant la chute.


Déclenchée par des obus qui dévastent tout : images superbes, qui offrent un contraste saisissant entre leur beauté plastique et la réalité atroce qui est montrée et que Klimov nous fait ressentir. Le film ne cessera d’osciller entre documentaire réaliste et poésie, le plus souvent macabre, ce qui fait sa force et son originalité.


Florya emmène sa protégée chez lui, mais il ne découvre que des poupées au sol. C’est là qu’il comprend, et qu’une musique assourdissante, sorte de scie vibrante, s’installe durablement : ce que Florya ressent dans son crâne. Alors qu’il entraîne la jeune fille, celle-ci se retourne et l’on voit furtivement un charnier humain : hallucination, pressentiment ou réalité ? Klimov a l’intelligence de laisser la question en suspens. S’ensuit une scène très forte où les deux jeunes se débattent dans un marécage, pour atteindre une île où les villageois se sont réfugiés. Puis l’arrivée au milieu d’eux, filmée caméra à l’épaule, très « documentaire » de nouveau. Immédiatement, on bascule de nouveau dans la poésie avec ce squelette qu’on habille de terre pour en faire un Hitler. Le film devait s’intituler « Tuer Hitler », pour dire « tuer l’Hitler en chacun de nous ». D’où cette scène finale, très symbolique, où Florya tire sur le portrait d’Hitler, déclenchant un rewind de l’histoire du nazisme, idée certes didactique mais que j’ai trouvé très convaincante.


Puis c’est une quête de nourriture destinée aux villageois restés sur l’île. Ce qui nous vaut une autre scène marquante, avec une vache, subtilisée à un paysan que notre héros et son oncle ne se privent pas d’humilier (les soldats russes ne sont pas des saints, même si le film, dans la tradition russe, reste très patriote, donc assez manichéen). Des tirs de l’ennemi zèbrent la nuit (en balles réelles !), la vache est touchée, elle s’effondre et Alex vient se lover contre elle. Très touchant. Gros plan sur l’oeil de la vache, troublant. Alex, déjà passablement traumatisé (il vient de voir mourir son oncle) atterrit finalement dans un village où un homme, pour le sauver, le fait passer pour l’un des siens.


C’est là que les nazis débarquent, donnant lieu à la scène terrible du massacre des villageois. Longue scène qui verra les Allemands les parquer dans une grange, avant d’y mettre le feu. Non sans avoir lancé cette proposition particulièrement perverse : « que ceux qui n’ont pas d’enfants sortent ! ». Personne ne sort, solidarité oblige. Sauf notre jeune héros, qui sauvera sa peau. Avant de quitter les lieux, les nazis épargnent une vieille, laissée là sur son lit. Elle peut vivre, car elle est trop vieille pour enfanter.


En partant, ils embarquent une femme qu’ils vont violer tour à tour dans un camion. On pourra trouver tout cela un peu too much, mais est-ce vraiment exagéré ?...


En tout cas Florya, dont le visage est à présent barré d’une grande ride, retrouve son amoureuse elle aussi méconnaissable : du sang coule le long de ses jambes et son visage est sanguinolent : voilà ce qu’il reste de la blonde nymphe qui susurrait gaiement à l’oreille du héros : « je voudrais que tu me donnes des enfants »...


C’est la désolation, mais le film n’est pourtant pas fini : reste la vengeance des Russes, qui ont attrapé une poignée de tortionnaires d’en face. Entre lâcheté (« je n’ai tué personne » ou « ce n’est pas moi, je ne suis pas Allemand ») ou folie (le discours de l’officier allemand qui promet aux Russes leur destruction), personne à sauver chez l’ennemi. Le chef (qui avait reproché à Alex au début du film de... ne pas lui avoir tiré dessus sans mot de passe !) est impitoyable. Ils seront tous fusillés.


Après que Florya a mitraillé le portrait d’Hitler, épargnant finalement le jeune enfant, ce qui est une façon de sauver in fine l’enfance, la troupe russe s’en repart à travers les bois. Florya les rejoint, définitivement transformé. Et nous aussi, sans doute, avec.


Une œuvre brillante, impressionnante, qui mérite bien sa place au panthéon de SC. On pense à Eisenstein et à Tarkovski, excusez du peu. Mais Klimov a réussi à développer un style très personnel. Il a bénéficié d’un acteur d’exception, d’une rare expressivité, Aleksei Gravchenko. Olga Mironiva, la jeune interprète de Glasha est également formidable. Tous deux restent longuement gravés en nous le film terminé.


8,5

Jduvi
8
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le 11 oct. 2018

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Jduvi

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