Requiem pour un massacre (Vois et Viens dans une traduction littérale de son titre, verset de l'Apocalypse de Saint-Jean) fait partie de ces films dont on peut avoir deux visions, radicalement différentes : une vision hors contexte et une vision contextualisée. La première ne donne pas grand chose : le film est long, parfois même fastidieux, avec une forte tendance récurrente à l'insistance voire même à la caricature, en témoigne le final véritablement de trop. Ici je schématise, mais c'est pour mieux vous montrer que l'autre vision est plus intéressante.


D'un autre côté, on peut apprendre que le réalisateur Elem Klimov ainsi que le scénariste Alès Adamovich ont vécu le front de l'Est et avaient (environ) l'âge du personnage principal à cette période. Il est aussi intéressant de noter que le film dans sa production, a eu le soutien de l'armée Rouge, ce qui lui donnera des moyens financiers et logistiques considérables, permettant pour le bombardement d'une forêt par des obus, de réellement bombarder une forêt et de la rayer de la carte. Ces moyens logistiques seront tels qu'ils mettront en péril la vie de l'acteur principal dans la scène de la vache, presque fauché par une rafale, car oui, quand l'armée Rouge finance un film, on tire toujours à balles réelles. On apprendra également que le tournage a duré deux ans, qu'il a été très éprouvants pour tous, et que la volonté du réalisateur n'était pas tant de se soucier du spectateur que de faire une oeuvre testamentaire, pour que les horreurs vécues pendant la Seconde Guerre Mondiale soient transcrites sur l'écran. D'autre part, Klimov réalise aussi ce film en réponse à Apocalypse Now qu'il a vu et qu'il juge trop peu représentatif des horreurs de la guerre.


Prenant en compte ces considérations, la vision du film évolue : l'insistance que l'on pouvait juger trop grossière n'est pas du tout en réalité une erreur, c'est ce que Klimov et Adamovich ont vécu. Car oui, toutes les scènes du film (de guerre entendons-nous, pas les scènes idylliques dans la forêt, quoique) sont issus des souvenirs des deux hommes et de quelques témoignages recueillis de survivants du front Est. Partant de là, la volonté n'est pas de mettre le spectateur mal à l'aise, la volonté est de rendre le film le plus réaliste possible, sans considération aucune du pauvre spectateur, malmené dans son visionnage (et c'est un euphémisme). Klimov ira même jusqu'à dire que même si son film n'avait été vu par personne, ça n'aurait eu aucune importance : il ne l'avait pas fait pour qu'il soit vu, il l'avait réalisé pour lui et pour tous ceux qui avaient vécu cette période de chaos.


La performance de l'acteur principal, jeune fermier biélorusse qui ne tournera presque dans aucun autre film est d'autant plus saisissante lorsque l'on sait cela. Son visage, transformé par les maux de la guerre et un maquillage remarquable, est sans doute un des plus marquants de l'histoire du cinéma. J'en profite pour souligner l'usage récurrent mais jamais abusif du regard caméra, à chaque fois justifié différemment, toujours d'une esthétique belle et effrayante.


Et si Klimov refuse toute esthétisation de son film pour servir ses fins de réalisme, il n'empêche qu'une esthétique, même involontaire, se dégage du film : les plans contemplatifs de la beauté d'un jardin d'Eden pluvieux, l'usage du point de vue du garçon lors de son retour au village, qui ne veut pas assumer le massacre bien que tout l'indique (le vol permanent des mouches, la soupe immonde, l'abandon des lieux). La seul vision, fugace, témoignant la réalité du massacre se fera par le point de vue de la jeune Glasha, voyant le charnier mais de loin, la fuyant comme Florya mais pas pour les mêmes raisons. Et que dire de l'utilisation de la musique, sporadique, déchirée, réduisant Mozart aux ruines d'une civilisation, à quelques notes éparses témoignant d'un passé qui semble à jamais lointain et inaccessible.
Les prouesses sont aussi techniques : l'usage de la steadycam est remarquable (à peine démocratisé et certainement pas dans le bloc soviétique, dont le cameraman apprend à se servir sur le tas, sans aucune aide).


Il y aurait tant à dire, mais je me concentrerais pour terminer sur la plus grande controverse du film, la scène de fin. C'est sans aucun doute la scène la plus étrange du film, et de mon point de vue elle remplit son office : tirer sur le portrait d'Hitler, sauf sur la photo de lui enfant. Si le message de cette séquence est assez maladroit, il a une force narrative indéniable, démontrant la maîtrise parfaite de l'effet Koulechov ainsi que de l'utilisation des images inversées, réduisant la puissance oratoire d'Hitler à des gesticulations spasmodiques ineptes. Si le propos de fond sur la banalité du mal est assez grossier et frôle la caricature, l'émotion est bien là, montrant toute l’horreur dans son dilemme le plus cornélien (Hitler était un monstre, mais c'était un homme).


Ce film m'a tellement ébranlé que j'ai mis une semaine à remanier, réécrire cette critique. Requiem pour un massacre est aujourd'hui considéré par certains historiens comme un véritable documentaire sur toute l'horreur et l'ineptie du front Est de la Seconde Guerre Mondiale, c'est dire l'importance et l'impact que peut avoir ce film, injustement méconnu.

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le 20 oct. 2015

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Xavier Petit

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