Roar
6.2
Roar

Film de Noel Marshall (1981)

Le pitch de Roar, réalisé en 1981 par un illustre inconnu ami et mari des bonnes personnes, a déjà de quoi faire frémir: un écologiste convaincu invite sa famille à vivre avec lui au milieu de ses 100 lions, tigres, pumas et panthères, ainsi que de deux éléphants. Pas beaucoup plus d'informations, sinon que "le tournage a été le plus dangereux du monde", avec 70 blessés, dont 4 graves, tous mordillés par des lions maladroits. Noblesse oblige, on essaye de rentabiliser l'affaire plus de 30 ans après en ressortant le film en salles demain aux Etats-Unis (ce qui montre bien qu'ils sont l'épicentre de la civilisation hipster, et on peut d'ailleurs se procurer les VHS pour la modique somme de 50$ sur Amazon http://www.amazon.com/Roar-VHS-Melanie-Griffith/dp/B0000C0UTO — le DVD, si ce n'est pas un faux, lui coûte entre 50 et 90$).


Enfin bon, pourquoi pas. J'ai eu l'occasion d'assister à cette chose sur un de ces vieux VHS apparemment si convoités, sans sous-titres et avec le son qui déraille. Du coup, c'est l'occasion d'en parler.


En dépit de la typographie un tantinet agressive du titre et de la classification dans "films dramatiques" par Wikipédia, Roar est bel et bien une comédie, une comédie qui, comme beaucoup de nanars, peine à trouver son ton.


Tout dans le film annonce sa nullité: son histoire — un vent de folie écolo gagne le couple Tippi Hedren / Noel Marshall, qui décident d'élever des lions chez eux pour prouver on ne sait quoi — sa génèse — le scénario, la réalisation et la production confiés à une seule et même personne est un mauvais augure — le casting — tous de la famille du réalisateur/producteur/scénariste — son ambition à l'éveil écologique... La liste est longue, et on sent le film qui n'a trouvé aucun soutien sinon l'amour de ses proches (et de ses animaux).


Mais passons. La caméra s'ouvre devant une grande plaine peuplée de zèbres et de créatures diverses. Un petit texte en jaune nous annonce l'ambition à la fois écologique et mondiale du film, et remercie au passage tous les peuples d'Afrique, d'ailleurs illustrés, sans raison particulière: on ne les reverra plus par la suite. Puis vient le générique, qui crédite les lions mieux que les personnes: Togar as Togar, Lion as Lion, etc... De fil en aiguille, on débouche ainsi devant une plaine, au milieu de laquelle roule sur une moto un homme barbu, disons un hipster des années 70 un peu attardé — je ne lâche pas mon idée du merchandising hipster, ce film aurait sombré dans l'oubli sans ce petit revival de style — au milieu des girafes. Vous suivez? J'aime les exercices d'analyse de phrase en français. Après, il y a un envol de flamants roses. C'est très beau, c'est du Panavision en Metrocolor, même sur la VHS ça se voit.


Immédiatement, nous voyons des lions se battre. C'est la première occasion de constater que le ton neu-neu que veut la comédie ne tient pas la route devant les grands félins, qui ont tout simplement l'air dangereux. Nous sommes dans cette situation si particulière au nanar, qui ne parvient pas à trouver son ton. Pour aggraver les choses, il n'y a pas un seul plan du film où ne se trouvent pas au moins 5 lions. On sent que l'équipe n'a pas du faire d'effort particulier pour avoir des animaux dans le champ, bien au contraire: les lions, à l'intérieur de la maison se battent et truculent à 12 dans 5 mètres carrés, au point où on se demande où ils ont pu mettre la caméra. L'effet de sidération est total: on a vraiment peine à s'habituer au surgissement incessant de dizaines de tigres, lions, pumas et panthères. Suivre les dialogues, qui sont d'une platitude digne du plancher océanique, est une épreuve fatigante.


Le personnage principal, John, qui est également le réalisateur, semble être un type assez détestable et rate complètement l'effet d'attendrissement escompté. Ce dernier a invité sa famille dans sa noble demeure aux félins, mais fait autre chose pendant que la petite troupe arrive; elle doit donc se débrouiller seule au milieu des bêtes, produisant des cascades dont le comique supposé ne fait qu'accroître la tension ébahie du spectateur, toujours terrassé par la vision de 15 tigres dont le visage approche celui des acteurs à moins de 5 centimètres.


L'effet de réél surpasse sans cesse l'effet de fiction, et l'on s'approche plutôt de quelque chose comme un méta-film, une sorte de parabole documentaire sur la mise en danger de soi-même et des siens au nom d'une idée orgueuilleuse et sans fondement. On ne peut pas s'empêcher de le penser — et le générique écarte toute confusion de casting: ils portent tous le même nom de famille — que ce type qui tourne avec toute sa petite famille, avec leurs lions qu'ils élèvent pendant des années rien que pour le film, c'est quand même vachement tordu. Et pendant qu'on se gratte la tête à essayer de comprendre les sombres motivations de ce hippie décadent, une petite trompette à la Laurel et Hardy indique que nous sommes supposés rire. On est dans un rapport extrêmement étrange, une réflexion sans cesse parasitée par une comédie à côté de la plaque.


À cet égard, il est à noter qu'à un moment, des chasseurs vexés par les tigres au début du film reviennent furieux et à cheval pour faire la peau aux lions le lendemain. Les chevaux, vraisemblablement loués au ranch d'à côté, sont de braves appaloosas, ce qui confère à la scène un arrière-goût délicieux de western un peu nul. Avec des lions.


On sent également que les acteurs sont trop occupés à dealer avec les lions que pour jouer vraiment, en plus d'être mal dirigés. En fait, on a le sentiment qu'il n'y a pas de direction d'acteurs du tout. Cette chose semble être l'œuvre collective d'une folie qui emporte une famille entière, un membre à la fois (sans mauvais jeu de mots). Et les protagonistes de se comporter en fait comme ils font d'habitude, mais en feignant d'être surpris, tout en restant vaguement inquiets de la concentration de lions dans l'endroit. De sorte qu'aucune attitude n'est claire ni franchement posée; on évolue dans une sorte de magma hésitant, et on sent obscurément que la famille Marshall en veut fort à son père de s'être laissée embarquer dans un pétrin pareil.


Désolée pour le côté tout décousu de ma critique; à film décousu, critique décousue. Ça vaut la peine de le voir pour les images de fou — ça suffit à tenir le film. Et on félicite le chef opérateur, scalpé durant sa tâche par un des lions, d'être parvenu à un si beau résultat malgré de si mauvais pronostics. Mais je mets 3/10 quand même parce que scénaristiquement, c'est vraiment trop mauvais — et que je juge selon les critères d'un film, et non pas de l'intérêt folklorique.

Lassie
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le 14 avr. 2015

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