Les cyborgs, quand il y a un, ça va... C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes !

INTRODUCTION


A peine je me dirigeai vers le cinéma que je rencontrai un autochtone de la même espèce et marchant sur deux pattes comme moi (je n'avais pas toutefois une bouteille de vodka greffée à la main).
Individu accompagné d'un Ukrainien et d'un Biélorusse (qui avait l'air de couler plus une bielle que d'être russe).
Me demandant s'il peut m'acheter dix euros une clope, je refuse d'être payé et le temps de refuser, il me demande ce que je fais. Je lui roule une clope. Je dis que je vais voir Robocop.


Et là, chers amis, c'est à nouveau le drame.


Le drame que je conte dans ma critique-lettre-pamphlet *
Je dis Robocop.
Il tique.
Je dis Robocop et, tout ce qu'il trouve à faire... Il tique.
Alors moi, je lui demande pourquoi il tique.
Il me dit qu'avec ma tête d'intellectuel, il s'attendait à mieux.
Je dis en substance que je sortais de Nymphomaniac 2 le Retour... et là, on parle de L. V. Trier !


Cette condescendance pour certains films me pèse mais je ne me formalise pas. Question de culture est question de politique. J'ai pas envie de causer de Trier. Je vais voir Robocop 2014. Directive one quoi. Même si je ne m'attends pas à voir un grand film, il faut que je vois ça de près.


Je revois encore ma tête en apprenant ce remake. Kadasdröfe ! J'ai vécu vingt-cinq ans dans le déni. J'avais été autant catastrophé de Judge Dredd, Totall Recall avec ces esthétismes illisibles, trop détaillés. Mais là, on touchait à la chair de ma chair de cinéphile. On touchait à la peau de mes convictions. Pas touche à Robocop !


Je suis un très grand fan de Robocop (et de Pierre Bachelet). Il est, pour moi, ce genre film qui est à la fois un film de fond, d'auteur et à la fois un film d'entertainment assumé : oui, c'est possible. Pas toujours aisé au vu des intérêts économiques en jeu mais il arrive quelques perles qui me fassent voir un peu plus loin que ce qu'elles montrent, et encore longtemps après leur visionnage. Certains films d'auteurs ne peuvent pas se vanter de me faire réfléchir, de me tenir plein d'admiration pendant dix, quinze, vingt ans ! Robocop est la preuve que c'est possible - l'exception populaire, le parfait syncrétisme.


ANALYSE


Re-situons : Robocop, c'est quoi ? Robocop, c'est un bête robopoulet dans un capitalisme à bout de souffle, une grotesque "OCP" qui ne trouve rien de mieux qu'un robot scientiste pour être sauvée.


Ce qui est intéressant d'entrée de jeu ici, c'est que Robocop ne représente nullement un messie sécuritaire. Non. Il représente... une part de marché potentielle, un lobby pour faire pression sur une loi pour obtenir le droit d'employer des droïdes pour la sécurité intérieure. C'est déjà plus compliqué. Il sera donc à nouveau l'objet d'une instrumentalisation. Oui, souvenez-vous : dans le premier, l'OCP avait muté Murphy dans un quartier dangereux pour être pourvu en cadavres de bonne qualité ; dans le second, Robocop est reprogrammé, promeut l'écologie auprès des enfants ainsi que quelques règles élémentaires de savoir-vivre ; dans le 3 et dans la série, Robocop est l'objet de documentaires sensationnels et de jouets. Robocop vaut tellement cher - deux milliards si mes souvenirs sont bons - qu'il ne peut pas être un investissement non rentable. Et maintenant : Robocop est un levier économique et de l'opinion générale, une vitrine promotionnelle pour un nouvel avenir, mais aussi pour justifier les guerres à l'étranger. Ainsi Padiha provoque-t-il une satire sans humour, sans aucune science-fiction : la bureaucratie états-unienne, animée par une opinion générale sous perfusion de sondages pseudo-démocratiques et d'une émission patriote, cette bureaucratie là fait à l'extérieur de son pays ce qu'elle ne veut pas chez elle, tout cela pour faire des guerres propres, chirurgicales, sans soldat américains mort à l'arrivée. Chez Padiha, on ne badine pas avec la politique extérieure et je l'en félicite pour cette raison. Robocop devient alors une mise à l'épreuve pour que l'OCP puisse gagner un marché national. L'OCP montre alors un autre visage de sa suprématie. La baisse de la criminalité n'est qu'un paramètre sociétal à ajuster pour gagner les consciences, pour gagner l'idée que la technologie est la plus apte pour résoudre la misère et ses conflits. Là, encore, complémentarité entre la saga et cet opus... et je dirais même richesse : les deux OCP se rendent plus riches l'une l'autre.


Etant donné que les intérêts ne sont pas du tout les mêmes entre les deux Robocop (ceux de la saga et celui-ci), je dirais que leur morale n'est pas à confondre, ni à comparer. Nous assistons donc bel et bien à deux visions complémentaires, si bien que c'en est surprenant.


Depuis quelques temps, je ne sais si c'est une mode mais, de plus en plus, j'observe des questionnements sur la place de drones ou d'androïdes dans la société. La première affaire de justice a vu le jour cette année en France sur la question d'un drone sans autorisation de vol. Dans la série Real Humans, l'emploi d'androïdes dans les maisons particulières modifient considérablement les rapports humains qui, entre humains, deviennent intolérables, quand tout est si facile avec un être vierge, même s'il fait de circuits intégrés et de silicone. Enfin, tout va bien avec ces androïdes, hormis qu'ils gardent trace et s'adaptent aux circonstances. Ils s'enrichissent, quand ils ne tombent pas sous le coup du marché noir, de la prostitution ou de défauts de fabrication. Robocop, c'est un peu Real Humans, à ceci près que l'homme est une machine... Ou plutôt que la machine est un homme. Padiha nous en fait sobrement et tristement la démonstration : le corps humain est résumé à ses plus simples fonctions. Il ajoute donc une dimension humaine, là où Real Humans s'orientait davantage sur la question du racisme que de la phobie technologique. Quelle différence ?


La différence est très mince. C'est la question du libre-arbitre. Verhoeven laissait la question de l'âme motivée la quête de justice de Robocop. Padiha n'interroge pas l'âme puisqu'elle est le fruit de paramètres chimiques. Non, il fait de sa vision de Robocop une bataille, une lutte interne autour du libre-arbitre, de sorte que Alex Murphy repossède ses décisions, sa vie, ses choix, au lieu qu'il soit soumis à des impératifs de profits décidés par un multimilliardaire cynique et orgueilleux.


CRITIQUE


J'ai toutefois une panoplie non négligeable de griefs.
C'est dans le traitement manichéen que cela me pose problème dans la mesure où le métrage s'avère largement plus tranché entre le bien et le mal là où l'original constituait une sorte de cercle vicieux, faisant le lien entre le grand banditisme et la corruption des cols blancs. Et cela joue grandement sur la narration, qui court les rebondissements à peine efficaces.
Ici, on a clairement à faire à des comportements néfastes et qu'une fois ces comportements ôtés, comme comme retire une écharde, la société ne s'endort que mieux. J'estime que ce manichéisme ne correspond pas du tout à Padiha. Dans ce film, il y a pourtant ce bon vieux Omar, célèbre personnage de The Wire, un sous-prolétaire qui se nourrissait du sous-prolétariat et qui, dans son combat, est bien perçu par la société mais reclus. Et du coup, il y a beaucoup à dire sur le manichéisme entre les deux Robocop... Car Rappelons-le, Padiha, c'est deux Troupe d'Elite, des films où les institutions sociales sont davantage en collusion plus dans une machination. Je ne dévoile rien du tout en le disant. C'est l'une des marques de fabrique de ce film et du cinéaste... tandis qu'une bonne flopée de thriller se chatouille la glotte pour arriver au même constat.
J'ai ressenti des séquences de longueurs trop inégales aussi.
Esthétiquement, j'aime Padiha mais ici , j'ai des doutes toutefois sur la pérennité de son oeuvre, je veux dire sur la capacité de ce film à demeurer sans trop d'obsolescence. L'esthétisme de ce film me paraît assez fragile et fouillis quand Verhoeven faisait de belles photographies au détriment de l'action.


CONCLUSION


Il est difficile voire impossible de comparer Robocop de Verhoeven et Robocop de Padiha car Padiha trouve tout à fait l'interstice moral pour camper son film ; il ne débute pas sur la même base. Les enjeux sont complètement différents et plus nuancés et le tout, avec des ficelles qui ne sont pas les mêmes. Oui, Verhoeven s'était moqué un peu trop vite de l'acceptation d'être un cyborg. Il y avait là un vide que Padiha comble.
Il n'est nul doute que ce Robocop est intéressant, même si je n'ai pas été transporté ; il a sa place - j'en ai été le premier surpris, et ce dès les premières secondes. Il a sa place et dans le ressenti, je le compare plus facilement à Robocop 2... qui est un honnête Robocop aussi. Il y a d'ailleurs un lien assez étroit entre la scène de Robocop 2 où l'on nous montre une succession d'essais malheureux avec des cyborgs qui se suicident à la chaîne ** et cette recherche du candidat idéal dans ce film-ci. Et puis, il y a ces deux clins d'oeil musicaux dans le film : reprise du thème de Robocop de Poledouris et surtout ce choix révélateur et tragique en générique de fin : I fought the law des Clash. Quand Verhoeven se sert de l'humour comme une arme satirique, Padiha entreprend une oeuvre fiévreuse et révoltée.


And you know what ?
The law won.


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Créée

le 21 nov. 2013

Modifiée

le 2 mars 2014

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