Rocco
6.2
Rocco

Documentaire de Thierry Demaizière et Alban Teurlai (2016)

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Alors que Rocco nous est présenté sous les traits d’un documentaire, il permet en réalité à Thierry Demaizière et Alban Teurlai de lier journalisme intimiste et cinéma. En s’appuyant sur un sujet singulier, les deux réalisateurs donnent une nouvelle dimension à leur art du portrait, qu’ils développent depuis quelques années à la télévision. Rocco suit ainsi les trois dernières années de la carrière de Rocco Siffredi, légende de la pornographie contemporaine, tout en prenant le parti de dévoiler l’homme qui se cache derrière le mythe.



« Je ne peux pas jouir d’une vie normale. »



Profondément subversif, le portrait de Rocco ne se veut jamais outrancier et profite d’une mise-en-scène soignée qui donne au documentaire un certain aspect de biopic, appuyé par le caractère théâtrale de l’ensemble des protagonistes qui partagent la vie de l’acteur. Les qualités cinématographiques de Rocco sont indéniables et l’enchaînement de plans soignés donne une autre dimension à ce portrait transgressif. Bien plus qu’une simple immersion dans le monde de la pornographie, Rocco nous propose une vision esthétisée de ce qu’est ce dernier, multipliant les plans serrés qui lui évitent par ailleurs de sombrer dans un voyeurisme pourtant attendu. Il en reste évidemment que le documentaire s’inscrit dans un domaine précis, dont l’essence même est de déroger aux bonnes mœurs, mais un domaine néanmoins retravaillé pour en saisir toute l’étendue artistique et esthétique. Rocco Siffredi, figure de proue du hard, laisse entrevoir un univers où le Beau se substitue à la violence grâce à la réalisation soignée d’Alban Teurlai.


Rocco nous met par ailleurs face aux contradictions d’un homme qui aura marqué notre époque, alors qu’il est lui-même profondément meurtri par ce qui a pourtant fait sa renommée. Le choc des dialectiques religieuse, familiale et pornographique surprend, choque certes, mais il permet également d’ériger une approche originale du sujet présenté. Rocco est bien un homme de l’excès, mais un excès teinté par les conflits de ses passions. Toujours juste et sincère, le documentaire permet à Rocco Siffredi d’exposer non seulement la substance de son être mais aussi celle de son métier, afin d’en donner une approche tout à fait singulière et intéressante. Bien rythmé, Rocco alterne les entretiens de Thierry Demaizière et le récit linéaire de la sortie de Rocco du monde de la pornographie, entre lesquels viennent s’intercaler les productions du maestro.



« Basta Rocco ! »



Le spectateur s’accroche et s’attache davantage à l’univers qui gravite autour de la légende grâce à la pénétration intimiste des caméras de Thierry Demaizière et Alban Teurlai : de l’extravagance des personnes présentées au surréalisme des scènes dépeintes, le documentaire offre à son spectateur un tour d’horizon certes déstabilisant mais aussi profondément touchant. Rocco prend le contre-pied des attentes du spectateur et évince toute possible gêne en surpassant le cadre dans lequel il s’inscrit, pour nous livrer une œuvre propre et loin d’être outrageante.


En fin de compte, il n’y a que la première scène qui s’inscrive réellement dans l’horizon d’attente du spectateur, forte d’un long plan fixe sur le mythe, sans tabou, sans filtre. Dès son premier plan, Rocco se dévoile : il s’agit bien de tout montrer, mais également de se défaire dès les premières lignes de ce qui ronge le personnage principal.


Ce que laisse donc finalement transparaître Rocco, c’est avant tout une sincérité poignante au cœur d’un monde qui ne brille que par les apparences. Par-delà sa démarche quelque peu didactique dont l’enjeu est de peindre le monde de la pornographie tel qu’il est, vocation et métier, le documentaire nous permet de saisir un moment de cinéma rare et renversant, une expérience des plus subversives. Rocco est indéniablement une réussite dans le traitement impérialement neutre de son sujet mais aussi dans sa façon de le transcender afin de pénétrer la sensibilité d’un spectateur qui ne saurait rester indifférent.

vincentbornert
7
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le 1 déc. 2016

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