Il y a quelques années, je devais écrire une dissertation sur le mythe du surhomme au cinéma. Dans ma quête, je me rendis auprès d'un expert cinéphile confirmé (qualification nécessaire), genre de maître Yoda du cinéma. Jonathan Broda, professeur d'Histoire du Cinéma de son état, possède une grosse, une très grosse culture cinématographique et un esprit critique très affûté. C'est le genre de type qui dans une conversation te sort des références tellement pointues que tu retournes chez ta mère regarder le cinéma depuis Méliès.
Je m'assoie en face de lui dans son bureau, il jette un coup d'œil à mon sujet et tel le Sphinx à Œdipe, il me pose cette question : Qu'est-ce qu'un mythe cinématographique selon toi ?
Et moi je réponds, un peu hésitant et en espérant sortir un gros classique bien en noir et blanc comme il les aime: Citizen Kane ?
Et là, il me répond en levant les yeux au plafond : Non, non ! Pas du tout ! Pour moi, le premier mythe cinématographique de l'Histoire c'est Rocky !
Hein ????!!!! Rocky ??!! What a fuck ?!
Bref, après je suis rentré chez ma mère pour regarder Rocky...

J'avais vu Rocky quand j'étais petit mais c'était bien lointain et comme tous ces films que l'on croit connaître sans jamais les avoir vraiment vu, j'en avais l'image d'un film un peu brutal, décérébré et débilisant. Hé bien je peux vous dire qu'en regardant ce film je me suis pris une grosse claque, un puissant uppercut même ! Je croyais m'y connaître un peu en cinéma, en fait j'y connaissais rien du tout et j'ai appris à ne plus juger sur des a priori.

Je mets ma rondelle dans la fente du lecteur DVD et là je retourne 30 ans en arrière, milieu des seventies aux States. Un sentiment de nostalgie m'envahi ou plutôt la réminiscence d'une époque et d'un univers que je n'ai pas connu...
Rocky, immigré italien, est un boxeur raté d'une trentaine d'années, un peu limite niveau neurones, qui déambule dans les rues des bas quartiers de Philadelphie et enchaîne les petits boulots pour s'en sortir. Le film nous plonge dans une atmosphère sentimentalo déprimante sublimée par une musique toute en finesse. Rocky se fait virer de son club de boxe parce qu'il ne vaut plus rien et on a devant nous l'archétype du parfait looser auquel plus personne ne croit...On prend en pitié ce pauvre gars, limite clodo, tout en étant touché par sa simplicité et sa générosité... On se sent aussi très touché par son idylle avec Adrian (qui passe du statut de « gros thon » timide à celui de belle femme épanouie) ou par sa relation d'abord conflictuel avec son entraîneur.
Puis Rocky se voit offrir la chance de décrocher le titre de champion du monde des poids lourds face au champion en titre Apollo Creed (simulacre de combat car il pense pouvoir éclater Rocky sans problème). Rocky renoue alors avec son entraîneur et commence à s'entraîner mais il arrive essoufflé comme un gros bœuf en haut des marches du musée des Arts de Philadelphie. Bref, on aurait déjà pas miser un dollar sur le type mais là on se dit que c'est vraiment mal barré...
Mais Rocky veux maintenant prouver à tous qu'il n'est pas ce looser, ce pauvre type, ce tocard !
Tout du long, la musique de Bill Conti (gros point fort du film) vient vraiment sublimer nos émotions et annonce très subtilement le fameux thème que nous connaissons tous.
Et là ! Après s'être taper plus d'une heure de film sentimentalo dépressif... d'un coup ! Comme un éclair ! Surgit la musique des Grosses Têt... heu Gonna Fly Now ! Peut-être plus jouissif que l'affrontement final lui-même, cette séquence où notre Rocky s'entraîne comme un gros taré et finit par gravir les marches du musée comme un fou prend toute sa superbe et tout son sens au vu de tout ce qu'on vient de se taper avant ! Non, non, vraiment jouissif ! Donc, un conseil si vous voulez vraiment jouir, retapez vous tout le film en DVD et pas seulement cette séquence sur YouTube.
Enfin, il y a toute la scène du combat final où Rocky lutte désespérément contre Apollo sans jamais céder... Là encore, moi qui pensait que Rocky allait éclater son adversaire... et bien oui et non... En fait, toute l'intensité, toute l'émotion de cette scène, tient dans la résistance héroïque de Rocky face à son adversaire !

Ce qui est fascinant avec Rocky c'est qu'il peut aussi bien être vu par Roger, le gros beauf de service que par l'intello cinéphile du café Saint Germain des Prés...
Rocky n'est pas qu'un film sur la boxe ! Non, on pourrait presque dire que la boxe n'est qu'un prétexte ! Rocky, c'est surtout une illustration du rêve américain. The American Dream Baby ! , vous savez l'histoire de l'immigré partit de rien qui débarque et qui arrive à s'élever au sommet par son travail et sa volonté ! Rocky, c'est aussi la métaphore de la vie de Stallone qui grâce à ce film passe d'acteur raté à superstar. Juste pour la petite histoire : Un jour, Sylvester Stallone, acteur raté qui avait joué dans un obscur film érotique n'avait plus que quelque dollars en poche et vivait dans un 9m². Il dépensa ces quelques dollars qui lui restait pour aller voir un match de boxe entre Mohamed Ali et Chuck Wepner, un parfait inconnu. Ce match ne devait être qu'une formalité pour Ali mais Chuck Wepner parvient à tenir tête au champion du monde et même à le faire vaciller et ne s'inclina qu'au dernier round. Stallone eut alors une révélation !
Ce film est l'une des meilleures illustrations du rêve américain, thème central qui sera reprit et développer au cours des volets suivants de la saga et où Stallone continuera à injecter des éléments de sa propre vie.
Sorti en 1976, Rocky n'est pas seulement une métaphore du rêve américain, c'est aussi le film qui annonce une nouvelle ère, celle d'une Amérique où tout redevient possible, celle des années 80.
Sorti quelques mois avant Star Wars, il est le précurseur d'un nouveau genre de cinéma et le pionnier d'un grand nombre de films qui vont s'épanouir dans les eighties sur un autre mythe que l'on va retrouver dans la culture américaine, celui du surhomme.
Lorsque Broda parlait de Rocky comme étant le premier mythe cinématographique de l'histoire il voulait dire, qu'en plus de son immense succès populaire, Rocky est le premier film où le héros est autant mythifié notamment par l'utilisation du gros plan. On peut même dire que ça tourne presque à la mégalomanie et au culte de la personnalité dans les autres épisodes de la saga.
On comprend le succès de ce film car il a tous les ingrédients d'un conte populaire. C'est même un film fait pour la masse populaire et c'est pourquoi il plait autant à Roger ! L'homme ordinaire qui devient une légende ! Stallone à travers son personnage de Rocky, un peu naïf et limité mais au grand cœur redonne l'espoir de s'en sortir et d'atteindre les sommets de la gloire même lorsque l'on est au fond du trou, même lorsque tout semble désespéré.

Dans les épisodes suivants de la saga, Stallone nous fait du Mac Do. Il réutilisera exactement les mêmes ressorts dramatiques si bien que l'on a l'impression de voir toujours le même film mais comme un Mac Do, c'est populaire et ça se mange toujours aussi bien. D'ailleurs, je soupçonne Stallone d'avoir trouvé ou redécouvert le schéma narratif basique quasi parfait et qui fonctionne dans tous les cas : situation de départ désespérée/ entraînement et échec pour résoudre cette situation/ recherche d'aide et remise en question du protagoniste/ entraînement de fou, transformation du personnage principal et préparation en vue de la confrontation finale/ confrontation finale, combat héroïque. L'Empire contre Attaque, Conan ou Predator que je considère parmi les meilleurs films des années 80 réutilisent approximativement ce schéma basique mais ô combien jouissif !

Maintenant je considère Stallone comme l'une des plus grande figure du cinéma populaire américain et en regardant Rocky, on se dit que Stallone est vraiment un génie. Ses deux derniers films, Rocky Balboa et John Rambo, malgré des apparences de surenchère, sont du vrai cinéma populaire et intelligent, pas comme cette bouse fasciste et pseudo novatrice de 300 ! Malheureusement cette bouse est populaire ! Tout se perd ma bonne dame... Un Rocky 7 ?! Oui, je préfère les valeurs sûres !
Altharil
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le 10 nov. 2011

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Altharil

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