L'Etoile de la Mort est gardée par de terribles spoilers, la Force ne saurait protéger les fous qui s'y attaqueraient sans en avoir d'abord récupéré les plans en visionnant le film.


En se lançant dans le spin-off, Rogue One peut se permettre de changer de style et c'est ce qui me rendait vraiment curieux. Les Star Wars étaient toujours portés sur l'aventure, voire la fuite en avant. Même la trilogie Anakin, pourtant tournée vers les intrigues politiques, nous donnait à voir des personnages qui parcourent l'Espace avec un certain entrain pour affronter une foule d'obstacles. Les films étaient colorés et entraînants. C'est la tradition, et c'est bien comme ça. Mais un spin-off, ça s'écarte de la tradition et on peut en faire ce qu'on veut. C'est comme ça que Rogue One peut se permettre d'afficher la photographie la plus "grise" de la saga (mais qui claque !). Car on parle ici de résistance, d'opposition à un impérialisme étouffant là où la trilogie Luke (et sans doute la trilogie Rey) l'utilisait surtout comme une raison pour fournir des méchants et une quête. On perd des couleurs car les personnages ne sont plus émerveillés, ils ne sont plus en quête d'évasion. Ils ont déjà voyagé, ils sont cette fois blasés par cette force impériale qui s'immisce dans leur quotidien, leur mentalité est bien plus cynique que dans les autres Star Wars. C'est ça qui m'a intéressé, et ça m'a plu quand on arrive sur Jedha, surplombée par un Destroyer écrasant qui recouvre toute la ville sainte. L'ambiance de la ville est parfaite avec ces stormtroopers qui sont partout, on voit bien la critique sous-jacente. C'était ce qu'il fallait faire. Montrer l'absence de scrupules des rebelles, c'est aussi ce qu'il fallait faire. Ce film, c'est ce qu'il fallait faire.


Mais alors pourquoi est-ce que ça ne prend pas chez moi ? C'est pourtant très bien réalisé et il n'y a presque pas de fausse note, de scène qui bloquerait (sauf une, j'y reviendrai). Mon premier problème concernait finalement le rythme. C'est quelque chose qui revient souvent à son sujet, mais c'est ainsi : je me suis un peu ennuyé pendant les deux premiers tiers. Les personnages ne m'ont par exemple pas fait vibrer. Ils ne sont pas pénibles, certains sont sympas, mais sans plus (le personnage de Donnie Yen est très bien vu). La relation père-fille n'est pas emballante du tout, c'est traité vite-fait et puis on passe à la suite sans y revenir. Le personnage de Felicity Jones ne dégage rien, elle est blasée et froide. Elle ne m'a pas donné envie de m'attacher à elle. Même chose pour Diego Luna, assez transparent. D'une manière générale j'ai manqué d'entrain pour le film, et je ne saurai pas trop expliquer pourquoi. J'ai l'impression qu'il a le cul entre deux chaises : il tente de donner une représentation de la guerre, il la pousse pour certains aspects (la résistance qui tente d'assassiner Gallen Erso, l'attaque terroriste qui ne prête pas attention aux dommages collatéraux, l'usage de l'arme atomique) mais ne va pas aussi loin que je l'attendais. La vraie guerre, je ne la ressens pas alors que l'esprit d'aventure des anciens Star Wars n'est pas là non plus. On est dans un compromis qui conviendra à beaucoup de gens, mais j'aurai préféré que le film verse plus franchement dans l'un ou l'autre.


La scène qui m'a dérangé en rapport avec ce mauvais compromis, c'est la destruction de la ville sainte. C'est pourtant le 3e film où l'Etoile de la Mort est utilisée. L'épisode IV basait son impact sur deux choses : la découverte de cette puissance terrifiante et la réaction épouvantée de Leïla sur qui on pouvait projeter son empathie, à défaut de se rendre compte des vies qui ont été éradiquées. C'était donc réussi. L'épisode VII faisait la même chose, mais en perdant ces deux éléments. Il se contentait d'augmenter le nombre de planètes détruites, sauf qu'on ne sait presque rien d'elles et qu'on ne voit que des points dans l'Espace qui explosent, sans plus d'émotion que ça. L'unique plan sur les visages un peu hébétés des habitants qui vont mourir ne suffisait pas à faire prendre conscience viscéralement de la masse de morts engendrée. C'était raté. Que fait ce Rogue One ? Il a une bonne idée : on ne détruit plus une planète mais juste une ville. C'est assez proche de nous pour qu'on se représente bien l'horreur du truc. Mais il a 3 problèmes :


-Une ville habitée de civils est détruite uniquement pour faire un test. C'est de la cruauté gratuite. Les américains ont envoyé la bombe à Hiroshima pour cette raison entre autres, mais aussi et surtout pour faire pression sur le Japon, parce que sinon c'est bien difficile à justifier. Ici l'Empire a déjà pris le contrôle de la ville, elle est aux mains des méchants, ça n'a pas de sens de la détruire. Si le but était de se débarrasser des rebelles, c'est tout aussi idiot : ils auraient très bien pu se planquer dans une toute autre région de la planète, vu qu'ils ne sont pas dans la même ville. On pourrait tout aussi bien surveiller les sorties de vaisseaux hors de Jedha. Dans tous les cas c'était inutile puisque ça n'a pas marché, les rebelles s'en sont sorti (sauf le chef qui est resté sur place parce que... parce que la flemme je suppose ?).


-L'explosion se fait en parallèle du message du père à sa fille. Bonne idée, l'explosion faisant echo à la fin brutale du message. Mais cela a l'inconvénient de totalement atténuer la force de cette attaque : le rayon est lancé en 2 secondes et l'explosion n'a même pas droit à un bruitage. On pourrait se dire que cette utilisation de l'arme n'intéressait pas le réalisateur, mais il accorde pourtant une grande attention aux conséquences et au tremblement de terre engendré. Akira montre aussi une explosion atomique sans aucun son (pas même de voix-off comme Rogue One), et ce sans préambule. Là l'impact était monstre car le silence était total et glaçant.


-Enfin, la faute de goût qui m'a insupporté : cette destruction est montrée de façon spectaculaire. On flatte notre rétine avec toutes ces particules projetées, on en profite pour nous offrir une scène épique d'échappée qui est divertissante, mais de mauvais goût quand on considère qu'elle repose sur un massacre. Les victimes ? On s'en fiche royalement. On n'en montre aucune, comme si la ville était désertée. On nous dit juste que cette arme est terrible et qu'il faut la détruire parce qu'on veut poursuivre la rébellion, pas parce qu'elle a tué en masse des civils. C'était ça la véritable horreur à montrer, il aurait suffit de quelques plans sur les habitants apeurés qui voient la mort arriver du ciel, ou bien sur des familles qui vivent leur vie avant d'être exterminées, pour que cette scène ait une vraie force. On pouvait s'en passer dans les trilogies de films d'aventure, mais là c'est pas le même esprit et donc pas le même traitement requis. C'est aussi raté que dans le dernier X-Men où une ville dévastée est filmée comme une arène de jeu-vidéo. Si vous voulez un bon exemple d'apocalypse réussie, lisez la BD Watchmen. Le traitement de la scène dans l'adaptation filmique fonctionne moins, mais elle reste très respectable.


Il est probable que je n'ai pas eu totalement le Star Wars que j'étais venu chercher, c'est donc à moitié ma faute. Pourtant je trouvais la bataille de fin bien réussie, mais là encore il me manquait quelque chose. Déjà je ne ressentais rien à la mort des personnages, pas seulement parce que ces personnages n'ont pas été assez attachants mais aussi parce que ces séquences n'étaient pas toujours percutantes. On sent que la plupart meurt parce qu'il faut bien justifier qu'on ne les revoit pas dans la trilogie Luke. J'aimais bien le droïde K-6, mais son sacrifice sonne moins comme un chant du cygne que comme un passage obligé. J'ai été plus embarrassé par la chute du personnage de Diego Luna, où on le suppose mort : c'était très mal filmé, les cut se faisaient aux mauvais moments et ne permettaient pas de réaliser de quelle hauteur il chutait. Terminer ainsi une aussi bonne séquence, à savoir une varappe qui ne se contente pas d'être référentielle, c'est bien dommage. On en finit avec les personnages avec une mort "atomique" sur la plage qui là encore me rappelait Watchmen, sauf que le montage est bien trop rapide pour laisser le temps à la résignation.


Je voudrais enfin revenir sur une scène : l'intervention finale de Dark Vador. Découvrir ce Terminator depuis le point de vue de trouffions de rebelles impuissants et terrifiés, c'est quelque chose que je souhaitais depuis longtemps. Si le film n'avait pas pensé à parler du traumatisme de la guerre dans les précédentes scènes alors qu'il s'y prêtait bien, il pouvait le faire là. Il pouvait restituer la PEUR d'être face à une machine à tuer, un tank impossible à arrêter. Et il l'a fait. L'apparition de Vador, annoncée par sa respiration, surgissant soudainement du noir par la seule lumière de son sabre, est parfaitement réussie. L'étendue de ses pouvoirs nous est présentée, même pas de façon gratuite. La peur des rebelles est palpable, c'est une réussite complète. Et pourtant, cette scène que j'ai attendue depuis si longtemps et qui est si bien réalisée m'a laissé indifférent. Est-ce parce que j'étais déjà déçu du film ? Est-ce parce que cette intervention ressemblait trop à mes attentes (paie ton ironie) ? J'ai envie de me dire que c'est parce que je connaissais déjà l'étendue de ses pouvoirs et que le film ne m'apprenais rien. Que la tension de la scène était évacuée par le fait que Vador ne quitte pas son couloir et se contente de faire une brève démonstration de sa force, sur une trop courte surface pour mener au pur désespoir. J'ai envie de le croire, mais je pense que ce serait de la mauvaise foi. C'est plutôt la déception initiale d'un film mal rythmé qui m'a rendu grincheux. Et c'est triste de se rendre compte à quel point ça peut miner mon enthousiasme.


J'ai peu de gros reproches à faire au film. Il est beau et il propose une nouvelle approche de la saga sans la trahir (l'ambiance sonore et musicale est top). Il fait ce qu'il devait faire. Mais il peine à me coller au siège, et j'ai du mal à comprendre pourquoi. J'en sors sans grande fébrilité. Voilà la définition de la frustration.

thetchaff
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le 16 déc. 2016

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