Je continue mon exploration, à tâtons dans le noir, du beau cinéma, hybride et étrange, d'Arnaud Desplechin.
Comme dans Un Conte de Noël, le film qui m'a servi de découverte de cet univers jusqu'alors inconnu, subsiste le thème inaltérable de la perte, du deuil. Se remarquent les mêmes personnages imparfaits, écorchés vifs, au cœur et l'âme noircis et brisés, à la fois faibles et forts, et qui trouveront, au moyen d'un parcours mouvementé et difficile, hissés par les tours que joue le destin à tout hommes, la vérité de leur sentiment, l'apaisement tant recherché par les êtres que nous sommes.
Tout ici, du moindre plan, du moindre trait, du moindre mot butté que prononce Nora ou Ismaël, se révèle complexe, intense. Il faut les voir, les regarder, les suivre durant le film, traquer ces silhouettes qui se retournent sur leur vie pour s'embrasser ou se fuir, ou simplement se contenter d'un regard à l'expression indécidable.
Comme dans Un Conte de Noël, encore une fois, chaque but à atteindre nécessite l'évocation des fondements d'une tragédie grecque. Chaque sentiment humain s'accompagne d'un symbole implanté au sein de l'image avec une subtilité et une intelligence rare. Ces êtres qui n'accèderont et ne chercheront jamais la perfection - mot inexistant et imprononçable chez Desplechin - sont donc à la fois notre, et plus encore : des symboles, des figures de cinéma à la puissance et la profondeur inépuisable.
Le regard du cinéaste est droit, ni complaisant, ni froid et clinique : chaque scène apparaît comme une caresse de scène, à la profondeur à peine effleurée par la mise en scène, donnant une idée de la complexité du monde et des êtres filmés, puis chassée par une autre, disparaissant. Jamais non plus ne serait-ce qu'au détour d'une phrase Desplechin ne semble se prendre au sérieux, se considérant lui-même pour rester dans l'optique visée et atteinte : filmer la vie, à sa manière, mais filmer la vie, ses élans, ses pertes, ses fantômes du passé, ses regrets qui nous rongent et qui nous font vivre.
Et si souvent le style haché et sophistiqué du cinéaste agace parfois même beaucoup, l'épilogue me fait immédiatement passer du côté fan : voir marcher et s'enfuir dans les mots qui coulent et qui rampent un homme et un enfant devenus pères et fils, le premier discutant avec le second, simplement, sans ne rien omettre et cacher à ses yeux, des failles, de la tristesse, des imperfections et des grandeurs de l'Homme ; procure un bouleversement rare, alors qu'il n'y a rien de plus simple, de plus vivant, de plus banal. Deux êtres qui s'échangent ce qu'ils savent et puis le partagent, quel que soit leur âge et la tournure de leur passé.
J'ai sans aucun doute découvert un grand cinéaste, pratiquant un cinéma libre, inventif, amoureux de son art, volontiers imparfait ; et c'est toujours quelque chose qui procure un immense plaisir.
B-Lyndon
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le 11 mars 2013

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B-Lyndon

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