Dans la capitale italienne libérée après l’occupation fasciste,



le cinéaste romain pose la caméra



et invite son équipe à jouer des décors avec l’idée de témoigner de cette histoire qui vient d’avoir lieu : Rome, Ville Ouverte, c’est une fiction documentaire dans la cité.


Sous l’occupation, les autorités sont à la recherche de l’ingénieur Giorgio Manfredi qu’elles soupçonnent d’être un ancien combattant des brigades rouges espagnoles. C’est l’enjeu principal du film, mécaniquement. Le prétexte narratif autour duquel s’arque l’art du cinéaste. Toute la première partie se centre ainsi sur l’homme, autour de l’homme, dans l’immeuble où il se cache, et les séquences qui tiennent le récit s’attachent à dépeindre toute la faune qui l’occupe et qui cerne et fréquente le fugitif. Des hommes, des femmes, des enfants dans la cour de l’école ou de l’immeuble, une partie de football et doucement toutes les petites actions anodines d’un quotidien qui s’installe devant la caméra avec un art documentaire assez fascinant. Le réel qui prend le pas sur la fiction à chaque plan. Où ce qui transpire c’est bien le témoignage plus que l’histoire : les chemins plus que le but. Le format 4/3 noir et blanc et les mouvements erratiques ou précautionneux de caméra en extérieur participent à cet effet, impriment une volonté d’aller manœuvrer le classicisme un peu plus amplement.



L’immeuble, c’est la résistance.



La veuve, le prêtre, l’amant, la comédienne, l’infirme. La vie en communauté et les scènes d’un quotidien tiré du réel. Le couvre-feu, le réseau, les messages à faire parvenir, les hommes à cacher, la presse clandestine. Pour protéger les uns, les autres taisent leurs secrets. Les hommes, les femmes. Même les enfants. Sans oublier de vivre leur vie. L’animal adapté qui n’oublie pas d’aimer, de survivre. Toute cette ambiance de méfiance exacerbe les tensions et révèle les personnages : espoir ou usure, l’amour porte l’un, l’inquiétude tue et trahit l’autre, déjà lasse sous le poids des années.


Roberto Rossellini s’impose comme témoin de son époque tant les respirations qu’il sait apporter au réalisme classique sont inspirées du réel et insufflent la vie à son art. La justesse de sa captation impressionne, oubliés les comédiens derrière les vies, concrètes. Dans sa ville ouverte l’artiste arpentent les chemins qui reconstituent l’histoire aussi bien que l’âme humaine. Et exprime l’envie de voir venir « un monde meilleur, un monde nouveau » parce que « la vie est une chose immonde, infecte ». Sombre poésie, espoir délétère,



l’âme est palpable ici.



Entre menaces et rafles, exécutions, évasions et trahisons, la résistance rassemble les hommes malgré leurs différences, de conditions comme de convictions. Pourtant, l’espoir, la force de leur union, la vie de chacun ne tient qu’à peu. La seconde partie du film passe à la guerre. Sans effusion ni explosion, sans grand effet autre que la douleur et le deuil. Sobre remous de la vie. L’officier nazi qui s’empare des fuyards est l’oppression des peuples en tous temps : la terreur et la force plutôt que la rhétorique et l’échange, occuper à diviser pour s’imposer, opposer l’anarchiste et le prêtre pour obtenir ce qu’il désire. Glisse, désinvolte, ce geste de lever la lampe éblouissante face à la victime de son interrogatoire, avec une incroyable vraisemblance. Et révèle l’art du détail : les décors ne sont pas surchargés, parfois nus à la limité de la stylisation, mais c’est aller à l’efficace. L’auteur contient l’œil, concentre l’attention, amène à compatir,
à penser.
Car les vraies armes sont les mots.
Les mots du prêtre, qui maudit son bourreau et s’en repent aussitôt. Les mots du prêtre qui dit la vérité de son cœur, et sa bonté comme la flamme de l’homme en tout un chacun. L’amour et le pardon parce que c’est par le dialogue et l’apaisement que passe l’avenir.
Alors la mort, en joue, les enfants surgissent avec les larmes.
Soudain.
Emporté par le réel, ce formalisme en mouvement où les séquences documentaires s’enchainent sans toujours de lien apparent mais sans oublier de construire un récit dont les enjeux se divulguent un par un, doucement, ce formalisme qui déroule la vie jusqu’à…


Rome, Ville Ouverte et son auteur sont repartis de Cannes avec un Grand Prix en 1946. Certes, c’était le premier festival de la Croisette, et tous les pays participants se sont vus gratifier de l’honneur, mais l’œuvre de Rossellini mérite la distinction. Le cinéaste italien y fait le pont entre les époques, entre les styles, du classicisme figé dont il tente de s’extirper sans rompre vers la Nouvelle Vague française dont Rome, Ville Ouverte semble être un élément précurseur évident. L’auteur raconte avec foi les hommes et l’espoir qu’ils portent autant que l’horreur, invite le spectateur à digérer la guerre, à oublier le ressentiment, et à vivre. Demain.



Invite chacun à trouver parmi les autres son chemin.



      Matthieu Marsan-Bacheré

Créée

le 15 nov. 2015

Critique lue 201 fois

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