Certains réalisateurs sont primés de la plus haute distinction cinématographique trop tôt, et pour le mauvais film. Au hasard de leur parcours, ils boivent au graal du grand écran alors que l'acmé de leur génie ne devra être atteint que quelques années plus tard dans un tout autre registre. C'est le cas de David Lynch qui, pourtant auréolé de la palme d'or pour Sailor et Lula en 1990, ne trouvera grâce suprême à mes yeux qu'à partir de 1997 et l'altissime Lost Highway entérinant la plénitude de son cinéma.
On est ici loin du chef-d'oeuvre intellectuel et abstrait, piolé d'une douce sombreur, que sera Mulholland Drive. Aucunes mystérieuses circonvolutions mais un scénario linéaire empruntant les codes du road-movie : un couple, Sailor et Lula, tente d'échapper à la fureur de la mère de l'héroïne qui s'oppose à leur relation. Au gré de la route s'enchaînent les plans diurnes et ensoleillés sur les décors désertiques des USA, ponctués par des riffs de rock entêtant qui accordent à la réalisation un charme singulièrement anachronique. Cet univers, faux western punk, est sublimé par un Nicolas Cage bad-boy à la parole charmeuse dont le seul port d'une veste en serpent lui permet de justifier, non sans comique, la bonne vieille liberté américaine.
Cependant, on a la désagréable impression d'assister à la récitation d'une leçon d'un bon élève. Pendant deux heures, Lynch se contente d'aligner les poncifs du genre consigné (l'arrêt à la station essence vide où se bascule un vieil homme édenté sur sa rocking chair semble être une image cent fois visionnée) sans réellement donner de cœur au film. On ne peut évidemment pas douter de la réalisation qui reste agréable et maitrisée - difficile d'enlever ça à un tel réalisateur - mais le scénario souffre d'un manque d'incandescence. La fuite s'inscrit mal dans la trame du récit, essentiellement parce qu'elle ne repose sur aucun suspense, et de fait ne sert qu'à mettre en abîme un marivaudage assez poussif. Les personnages, à l'instar de Lula, manquent de psychologie ce qui est maladroitement compensé par un jeu d'acteur excessif, gangue d'une mise en scène qui favorise peu l'introspection. Il en est de même pour la mère dont l'enclave scénaristique s'avère partiale et laisse le mauvais goût de n'avoir, au bout du compte, qu'illustrée une ostentatoire référence à Cris et chuchotements de Bergman lorsqu'elle se peint le visage en rouge.
Pour couronner le tout et achever ceux qui jusqu'alors hésitaient à porter un jugement définitif sur cette œuvre, la platitude de la dernière scène fait office de point final, amplifiant irréfragablement le ridicule de la situation.
Sailor et Lula tranche donc avec le style lynchéen de par sa luminosité et, au final, accuse le manque de mystère qui le caractérise habituellement. Très loin d'être un des meilleurs films de Lynch, je regrette que la palme d'or lui fut attribuée pour l'une des réalisations qui le caractérisent le moins. Une fois de plus, les décorations peuvent parfois être trompeuses.