Delépine et Kervern se sont lancés derrière la caméra en 2004 avec Aaltra et se sont constitués une équipe de fidèles, parmi lesquels Depardieu (Mammuth) et Poelvoorde (Louise-Michel, Le Grand soir), qu'ils retrouvent pour Saint Amour. Les réalisateurs grolandais poursuivent dans la veine pittoresque et existentielle, avec une ribambelle d'égarés traversant en taxi la France rurale (Kervern tient un petit rôle de fermier naturellement éberlué) et actuelle (dont il cite des marques ou des faits politiques – que ces ratés ou paumés de l'existence subissent voire absorbent, comme la serveuse mécanisée pour dompter son anxiété). Tous les non-figurants dans Saint-Amour sont dans la feinte ou la fuite. Ils ne se comprennent pas, ne captent plus rien, ou font ceux qui comprennent et maîtrisent (la fille à cheval au premier abord ; le chauffeur qui imite, voire se prend pour, un donneur des leçons de vie et de comportements, ayant des connaissances et des occupations en abondance). Le film avance vers la tristesse, charriant les pauvres trucs qu'ils traînent dans leur sac ou dans leur tête ; mais aussi dans la rémission, chaque épisode même ambigu permettant une mise au point salutaire, au moins relativiser le point où on est arrivé (descendu), au mieux reprendre confiance et saisir sa chance 'naturelle'.


Poelvoorde joue le fils agriculteur, dernier de la lignée et privé d'avenir. Son alcoolisme et sa situation sociale sont traités avec lucidité. Le Salon de l'Agriculture est son divertissement annuel. Envieux des parisiens, il se sent passer à côté de la vie, un peu comme un enfant ou un cloîtré involontaire privé des joies du monde. Ses relations avec les femmes sont minimales, il y a donc urgence sexuelle pour ce poivrot tassé dans la honte et l'alcool, avec toute son énergie idiote. Mike, le conducteur du taxi, est une sorte de loser péri-parisien essayant de se mettre en avant. Un pleutre et un imposteur, tellement minable qu'il atteint un ridicule facile à pardonner, car de toutes façons la matière est pourrie et l'affaire vite classée. Le père joué par Depardieu aussi a ses anomalies (la femme au bout du fil), mais il est gâté par l'âge et son ascendant naturel d'ours affable, débordant de compassion et de vitalité simple. Michel Houllebecq (Soumission, Les particules élémentaires), pilier délabré de Near Death Experience (le précédent opus du tandem grolandais), fait une apparition en hôtelier improvisé, sous les traits d'un père de famille bien brave et dévoué.


En tant que comédie le film excelle, dans la commisération ses intentions et ses résultats sont dispersés. Il saisit les endroits où il peut aller dans le grotesque (convoquant des excentricités de charlots campagnards, comme le délire des particules avec un type ne faisant même pas l'effort d'être convainquant ou simulateur charmant) sans sacrifier le réalisme, en gardant de l'empathie même dans les moments de solitude ou d'humiliation. Les personnages sont déglingués, pourvus d'accessoires excessifs (préservatif Chirac) mais vraisemblables – à l'exception des anciennes amantes de Mike puis su trop-plein de handicaps infamants, tirant vers le cartoon. La mise en scène trouve un équilibre entre la moquerie et la compassion, la première n'étant jamais exclusive, la seconde finissant par emporter le morceau. Dans la dernière partie l'option naïveté guillerette triomphe sans réserves ; trop de pathos et une utopie piteuse, malgré des résidus de cruauté et des déballages caustiques (la révélation puis l'action un peu glauque assumée par Vincent Lacoste). À la fin triomphe une éthique libertaire. En général : la vie c'est le plaisir et l'amitié, dans une Nature clairsemée, sans se faire d'illusions ou attendre de perfection des autres. En particulier : c'est un syndicat de papas, parce que le club est passé sur maman – et ces questions n'ont manifestement pas trop d'importance tant que l'issue est heureuse.


https://zogarok.wordpress.com/2016/12/30/saint-amour/

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le 30 déc. 2016

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