Yves Saint Laurent n’est pas mort. Démonstration 2h30 durant, dans la dernière réalisation de Bertrand Bonello.

Personnage emblématique de la Haute Couture, mythe et et symbole de la modernité, Yves Saint Laurent serait davantage considéré comme un dieu que comme un homme. Le risque de filmer ce genre de destinée aussi charismatique, c’est de prétendre à la vérité de son sujet. Faire le compromis entre ce que l’on attend du personnage et ceux que l’on aimerait dire de nouveau. Si ce fut l’état d’esprit du film de Jalil Lespert, Bonello se propose de réfléchir le film en tant que cinéaste et non en tant que reporteur.

Il pense et fabrique son film comme pour résoudre la passion éprouvée par son sujet. Créer l’hommage ne l’intéresse pas. Faire revivre les instants d’une vie n’est en aucun cas l’objectif de cette visite des évenements privés de Saint Laurent, puisqu’il s’agit d’en soumettre une réinterprétation en tant que matière cinématographique. L’obsession de la création à terrasser sa vie, ce rapport qu’il y a entre la mort et l’acte de création – très vite mis en évidence dans le film – fait de la personne Yves Saint Laurent l’épicentre vivant du paradoxal. Ce que le film comprend à la perfection et n’a de cesse de mettre rigoureusement en scène, c’est la complexité de son être. Il est mille reflets à la fois, mille lecture, mille envies, il est – à l’image de la décoration de sa propre salle de bain – deux miroirs se faisant face ; une vision d’infinie.

Prônant la beauté comme l’enjeu d’une vie, Saint Laurent se nourrit pourtant de la saleté, de la destruction, de l’obscénité. Constamment aussi proche de l’amour que de la haine, Bonello s’applique à manifester le génie dans l’assouvissement de ses pulsions. Saint Laurent s’autorise tout. La fascination que produit le film s’explique en partie ainsi. Capable de boire, de baiser, de crier, de tromper sans une seule hésitation dans ce corps puant de fragilité, Saint Laurent est un mystère. Toute sa personnalité tourne autour de la contradiction cultivée, si bien que le succès engraisse le malheur et que de l’imagination découle la frustration.

Nulle réponse, nulle solution à ce désastre psychologique, si ce n’est qu’il cimente le chef-d’oeuvre Saint Laurent lui même. La volonté du réalisateur à cerner cette identité extraordinaire se traduit par une exigence de tous les instants. L’entièreté des possibles cinématographiques s’agitent, bouillonnent à capter l’exceptionnel. De son écriture à sa post-production le film rivalise avec la signature Saint-Laurent ; un sens du perfectionnement maladif et plus important encore, un don à livrer l’essentiel au bon moment. Plus qu’un biopic, Bonello nous livre une oeuvre de fascination. Le sensationnel se trouve bien là, dans sa réussite à ne jamais découdre l’homme du dieu, le fanstasme au réel. Yves Saint Laurent est ici plus qu’un créateur, il est source de création.
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le 17 mai 2014

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