Une année, deux biopics sur le célèbre couturier français. Deux acteurs, deux styles, deux traitements, mais finalement, même hommage. Yves Saint Laurent, un génie français de la mode, qui révolutionna la haute couture féminine. Mais surtout un homme égoïste, gâté et enfermé dans une bourgeoisie castratrice. Un homme fragile et usé par une célébrité précoce. Un homme blasé, à la fois sensible et détestable.
Dès lors, porter un tel personnage à l'écran, dans un tel cadre et avec une telle épaisseur psychologique, cela peut inspirer grand nombre de réalisateurs.
Le film de Jalil Lespert, sorti en ce début d'année, était un biopic des plus classiques. On suit Yves Saint Laurent dans son parcours de vie, de son enfance à Oran à sa mort, en passant par les différentes étapes de sa vie et de sa dégradation mentale. Dans la forme, rien ne surprend. C'est classique, très classique. Lespert est un acteur au départ, pas un réalisateur.
Le film de Bonello est naturellement plus travaillé. Il y a une patte artistique, une mise en scène soignée, des cadrages et des lumières peaufinés. Et dans cette deuxième version, le réalisateur choisi un moment de la vie du couturier, son passage noir. Le reste de sa vie privée et professionnelle est traité par flashbacks ou flashfowards. Mais paradoxalement, Bonello a choisi un format plus long (2h30 contre 1h50). Et en effet, le rythme est beaucoup plus lent. On pose d'avantage les choses, on s'attarde sur plus de détails. Ce qui crée naturellement des longueurs, mais qui en même temps, traduit parfaitement la grande solitude du créateur. Et puis tous les plans bénéficient d'un traitement artistique remarquable, du premier travelling avant suivant la silhouette féminine d'Yves, au dernier plan rapproché affichant son sourire mystérieux. Bonello est un vrai réalisateur.
Niney affichait déjà une belle performance. Mais Ulliel la surpasse largement. Alors que Pierre a été contraint de forcer le trait pour exprimer les diverses facettes de son personnage, dans différentes périodes de sa vie, Gaspard a l'avantage de développer son interprétation dans une sphère narrative plus précise. De fait, son jeu est beaucoup plus naturel, plus nuancé et d'avantage contrebalancé par une mise en scène mettant l'accent sur certains aspects, pour mieux en dissimuler d'autres. Bonello matérialise le comportement contrasté d'Yves Saint Laurent, ce qui donne une toute autre épaisseur au jeu d'Ulliel.
Malheureusement, Yves Saint Laurent est le seul à bénéficier de ce traitement de faveur. Cela se confirme dans le jeu d'Helmut Berger, qui livre une remarquable interprétation d'Yves vieillissant. Pour le reste des personnages, c'est autre chose. Bergé est présenté comme un simple businessman, ce qui est accentué par le jeu trop lisse de Renier. Les personnages de Betty et de Loulou font également pâle figure... Seuls Louis Garrel et Amira Casar parviennent à transmettre quelque chose, tout comme l'excellente Valeria Bruni Tedeschi (qui apparaît cinq minutes dans le film).
De fait, le film de Lespert offrait plus de variété de jeu et d'interaction. Le très doué Guillaume Gallienne incarnait un Pierre Bergé tout en relief, entre sévérité, amour et protection. Le personnage d'Yves Saint Laurent entretenait d'avantage de liens avec ses différents modèles célèbres.
En définitive, cela est peut être dû au choix de Bonello de mettre en scène un Yves Saint Laurent solitaire, enfermé dans ses démons noirs, entre alcool, drogues et médicaments. Un choix intéressant, mais qui ne justifie peut être pas un tel défilé de "stars" au casting.
"Saint Laurent" est un beau film, travaillé, intelligent, émouvant. Et un film qui donne envie de voir Gaspard Ulliel plus souvent à l'écran, en France ou aux Etats-Unis (enfin, s'il y parvient un jour...). Par l'axe dramatique plus resserré qu'a choisi de traiter Bonello, ce long-métrage ne s'apparente finalement pas à un biopic, mais d'avantage à un film sur un personnage de la mode.
Un choix subtil, en somme.