Salafistes
6.7
Salafistes

Documentaire de François Margolin et Lemine Ould Salem (2016)

Oui, tremblez, assis sur vos chaises en rotin, à une terrasse parisienne exposée au bruit des moteurs de voiture, devant votre café à quatre euros, et votre plaid ikéa sur les genoux pour lutter contre le froid. Tremblez, les « je suis terrasse »: un homme a donné la parole aux salafistes, aux djihadistes, aux mystiques de la bombe faite maison, aux énergumènes européens en mal de sensations fortes depuis qu’ils ont terminé le dernier Call of Duty. Tremblez, comme des feuilles, tremblez d’effroi, parce qu’on vous prend pour des abrutis incapables de discernement. D’un coup, en une semaine, voilà-t-il pas que ce documentaire, dont on avait jamais entendu parler il y a encore un mois fait débat quant à son exploitation en salles. Trop de violence, trop de séquences de propagande ? Qu’à cela ne tienne, la poire fut coupée en deux : le film sort, mais avec une distribution confidentielle, et interdit aux moins de 18 ans, qui eux, trembleront donc grâce au téléchargement en torrent. Par faiblesse donc, et pour voir si je faisais partie du contingent d’imbéciles biberonnés par les pouvoirs publics qui serait incapable de mettre en place ses propres filtres d’interprétation d’une production documentaire, j’ai cherché, trouvé deux salles à Paris qui osaient diffuser la chose immonde, et je suis allée voir mon porno trash.


J’ai ainsi découvert les 3 Luxembourg pour la première fois. Le documentaire, assez court, une heure et quart tout au plus, fut diffusé aux trois quarts en anglais, à cause d’un souci technique. Mais, comme la salle n’était remplie que de bobos, personne ne s’est plaint. Lumière, attente d’une dizaine de minutes, reprise en sous-titrage français. Ainsi, j’ai pu profiter de la séance très sérieusement en prenant des notes sur le documentaire. Salafistes est un enchaînement d’interviews de personnages hauts en couleurs, entrecoupés de vidéos de propagande réalisées en majorité par Daech. L’ouverture du documentaire se fait par une citation de Guy Debord, dont je ne connais plus la teneur exacte, mais qui ne laisse planer aucune ambiguité sur l’intention primaire du réalisateur. Si le montage de Salafistes ne suffisait pas, ce préambule en rajoute une couche: non, il n’y a aucune volonté de faire les louanges de cette idéologie. En revanche, le but reste de tenter de la comprendre, tant elle est éloignée de nos moeurs occidentaux. Les morceaux sélectionnés des entretiens réalisés auprès d’une dizaine d’individus, tout au plus, touchent en quelque sorte la vie quotidienne en Djihadie : comment s’applique la Justice, la Charia, quel sort est réservé aux femmes, aux voleurs, aux homosexuels, etc. Le tout, sans commentaires ni contre-argumentation. Chacun peut s’exprimer, dire ce qui lui passe par la tête et expliquer ses conceptions au sujet de l’islam.


Ce qui ressort de ces différentes interventions est d’abord un refus catégorique de la modernité à l’occidentale, qui est principalement associée à deux travers: la corruption, de l’économie, des élites et des personnes, et la débauche, qui est de toute façon une extension de cette corruption. A cela s’ajoute un rejet viscéral de la politique américaine extérieure, et bien sûr, des juifs, considérés comme les ennemis structurels de l’islam. Tous ces principes sont appliqués avec rigidité. Un vol, une main coupée. Un rapport sexuel entre deux hommes, les deux seront jetés du toit, comme le montrent une des nombreuses vidéos de propagande, parmi les plus violentes. Un adultère pour un homme adulte célibataire, cent coups de fouet. Pas d’alcool, pas de musique, pas de tabac. Les règles de la communauté sont encerclées par la charia, et strictes. Quiconque y déroge le fait à l’extrême au péril de sa propre vie, qui, rappelons-le n’est pas considérée comme une finitude de l’existence, puisqu’au bout, il y aura pour tout pêcheur qui s’est racheté le paradis, et les houris. Les personnages interviewés possèdent différents rôles dans les sociétés examinées: l’un est juge, l’autre un djihadiste lambda, l’autre encore imam. Tous semblent posséder une culture large, comme le démontre les arrières-plans remplis d’étagères croulant sous les livres. Mais, grâce une habileté certaine, le réalisateur parvient à démontrer que le livre ne fait pas l’érudit, et que cela n’empêche pas ses interlocuteurs de plonger tête la première dans les hallucinations, voire les contradictions. « Charlie l’avait bien mérité » disait-il, tout en affirmant que Mohammed Merah n’avait pas tué d’enfants juifs, car les médias nous mentent. Exalté, dans un comportement tout finkielkrautesque: « Les femmes sont émotives, elles ne peuvent raisonner comme les hommes ». Cependant, l’heure n’étant pas à la joute verbale, ils parlent. Et nous, spectateurs, jugeons.


Est-ce que Salafistes est un visionnage réellement indispensable ? La réponse est non. Si vous êtes férus d’actualités, vous n’apprendrez strictement rien de ce documentaire, et encore moins sur l’islam. Au contraire: malheureusement, ces derniers temps, mois (et jours, tellement on nous bassine sans arrêt avec tout ça), nous n’entendons parler que de salafisme et de djihâd, à la radio, sur les chaînes de télévision, dans les journaux. Du matin, jusqu’au soir la France a peur. Le documentaire n’en rajoute pas une couche supplémentaire, puisqu’il ne fait que reprendre ce qui a déjà été vu, dit, montré. La seule différence consiste en une réalité plus dure à assimiler que ne nous la montrent les médias, à cause de l'effet d'accumulation qui règne dans Salafistes. Si, pour que le documentaire puisse être exploité en salles de cinéma les décapitations ont été coupées au montage, on voit malgré tout des gens se faire fouetter, des hommes et des femmes être jetés du haut d’un toit, des animaux écorchés, un adolescent se faire exploser avec le sourire aux lèvres… Mais tout cela, sans le voir, nous le savions déjà. En revanche, l’interdire aux moins de 18 ans est d’une stupidité aberrante, puisqu’elles privent une partie de la jeunesse de son droit à choisir ou pas de le voir. Que l’on ne vienne pas se plaindre des effets d’internet, il faut bien que la liberté puisse s’exercer dans un quelque part.


Enfin, la forme du documentaire est un peu redondante, donnant une impression d’énumérations qui s’accumulent, que l’on ne peut que regarder de façon passive puisqu’il n’y a rien à se mettre de réellement nouveau sous la dent. L’effet Streisand confère à des objets des relents d’anecdotique, qui seront aussi vite oubliés que la chantilly est montée rapidement.

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le 30 janv. 2016

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-Ether

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