Salò o le 120 giornate di Sodoma (1975) est une adaptation des 120 journées de Sodome du Marquis de Sade, transposée à l’époque de fascisme italien en 1944-45, et est réputé être l’un des films les plus extrêmes et subversifs de tous les temps.


Cette réputation est méritée, même si entre temps le sous-genre du « torture porn » nous a un peu plus habitué à la chose. Mais contrairement aux Saw, The Human Centipede et compagnie, le Salò de Pasolini est plus un essai cinématographique qu’une simple histoire gore : quelles sont les limites de ce qu’on peut montrer au cinéma ? Et que cela signifie-t-il vis à vis du spectateur ?


L’oeuvre s’inscrit dans un contexte très particulier, en 1975, durant les années de plomb, marquées par le terrorisme d’extrémistes politiques à gauche comme à droite. Pasolini fut d’ailleurs un communiste notoire. Il ne fut donc pas surprenant que le film fut censuré ou interdit à peu près partout dans le monde. Salò s’acharne en effet à nous présenter une sélection de nombreux tabous sexuels, la plupart tournant autour de l’anus, et surtout assumant complètement cette démarche. Car Salò nous plonge dans le point de vue des tortionnaires, pas des victimes —dont on ne saura pas grand chose—, sans essayer de les humaniser pour autant. Ou plutôt, en les humanisant de la pire des manières qui soit : par tout ce que l’humanité a de plus terrible. Pour le spectateur complice et voyeur malgré lui, le film n’en devient que plus violent psychologiquement.


Pour autant, je n’ai pas trouvé le film si réussi. Pour ce qu’il raconte et ce qu’il contient, il est très long —même si ce genre de rythme était plus la norme dans les années 70—. Mais surtout, il se répète. Les trois « cercles » suivent tous le même schéma : une vieille prostituée raconte des anecdotes sordides, que les tortionnaires s’empressent de reproduire peu ou prou sur leurs victimes. Une fois qu’on a compris comme cela fonctionne, on est moins choqué, on s’ennuierait presque.
Un thème récurrent est celui de « l’anarchie du pouvoir », mais encore une fois je trouve qu’on fait rapidement le tour de la question. Difficile aujourd'hui de ne pas voir une forme de gratuité dans ces longueurs.
D’autre part, les dialogues sont pompeux et les personnages —à une ou deux exceptions près— sont superficiels et sans évolution. Ce n’est certes pas la préoccupation centrale du film, mais je trouve que cela reste un défaut car cela n’a rien d’exclusif avec sa visée contestataire.


Malgré tout, la dernière séquence du film est extraordinaire. Spoilers ahead, il y en a trop pour faire un simple bloc grisé.


On a droit à une apothéose de l’horreur avec la torture et le massacre des victimes, où à tour de rôle un des quatre tortionnaires observe la scène de loin aux jumelles. La mise en abime avec le voyeurisme des spectateurs du film est évident, et nous annonce qu’observer, c’est aussi participer. Nous sommes donc complices. La joueuse de piano se défenestre après avoir observé elle aussi la scène, comprenant enfin à quoi elle a pris part.
Les derniers plans sont magistraux. Alors que la musique se fait oppressante, deux gardes changent subitement la station de radio pour diffuser un air léger, sur lequel ils esquissent quelques pas de danse en parlant de leurs petites amies. Cette scène illustre magnifiquement la capacité des hommes à occulter facilement des actes de barbaries, et encore une fois, la mise en abime avec le spectateur qui retourne à sa vie quotidienne est troublante.


Bref, Salò o le 120 giornate di Sodoma est une sorte d’énigme filmique. Détestable à voir mais au propos très intéressant, long et imparfait mais génial dans sa conclusion, tantôt gratuit tantôt véritablement subversif, il nous force dans cette part sombre de l’humanité que nous ne voulons pas reconnaitre. Sans compromis. À voir uniquement par un public très averti.


J’aurais pu noter le film à 2 comme à 10, tellement il me laisse interloqué. J’ai donc opté pour un 5 neutre.

Bastral
5
Écrit par

Créée

le 19 sept. 2018

Critique lue 524 fois

Bastral

Écrit par

Critique lue 524 fois

D'autres avis sur Salò ou les 120 journées de Sodome

Salò ou les 120 journées de Sodome
Velvetman
8

La seule vraie anarchie est celle du pouvoir

Sous l’égide de Salo ou les 120 journées de Sodome, Pasolini, crée l’un des plus grands témoignages que l'on ait pu exprimer sur la domination de l'être humain, et de son emprise sur l’identité...

le 2 avr. 2015

120 j'aime

5

Salò ou les 120 journées de Sodome
busterlewis
3

Une douleur sans fin.

Je n'utilise jamais le "je" pour mes critiques mais là, je n'ai pas le choix car je veux être certain d'exprimer ma propre voix. Je pense avoir vu un certain nombre de films dans ma courte existence...

le 8 oct. 2013

106 j'aime

Du même critique

Les Traducteurs
Bastral
2

Lost in Translation

Les Traducteurs (2020) est un whodunit qui allie sur le papier un concept classique, le mystère en chambre close, à un contexte original : il ne s’agit point d’élucider un meurtre, mais de trouver un...

le 3 févr. 2020

27 j'aime

5

La Terre à plat
Bastral
6

Globalement plat

Alors que certaines plateformes de vidéos en lignes ont été récemment accusées de diffuser sans distinction nombre de pseudo documentaires complotistes, j'ai été intrigué de voir ce La Terre à plat...

le 15 mars 2019

17 j'aime

Millénium - Ce qui ne me tue pas
Bastral
3

Millénium : Ce qui ne marche pas

Difficile de parler d’une suite au Millenium de Fincher. Le réalisateur (Fede Alvarez), les scénaristes, les acteurs, le compositeur, le chef op… sont tous différents ! En plus, il n’adapte même pas...

le 16 nov. 2018

17 j'aime

3