Une mariée, de l’euphorie, une plongée dans l’envers du décor… Le début de Samba fait écho à celui d’un autre film, sorti la même semaine : Geronimo (Tony Gatlif). Après ces premières images trompeuses mais reflétant l’ambiance générale de Samba – l’euphorie – on sent de suite que les deux films n’ont pas la même ambition. Si Samba a un nom de danse et que Geronimo à des airs de West Side Story, avec des scènes de danse incontrôlables, c’est dans leur ambition que les deux films diffèrent. Bouffée d’adrénaline aussi optimiste que violente, Geronimo épouse la vitalité de ses acteurs alors que Samba utilise de grands acteurs, connus et souvent très bons, pour leur faire faire ce qu’ils savent le mieux nous offrir : un visage frêle mais apaisant pour Gainsbourg, un gentil « pauvre » pour Omar Sy. Même quand ils sont à contre-emploi, comme Tahar Rahim, ce n’est que pour des seconds rôles pas très incarnés. Samba déçoit donc non pas à cause de ce que l’on attendait du film après Intouchables, mais à cause d’un duo de réalisateurs trop modestes pour leur ambition, à savoir que le film, mettant en scène une privilégiée et un rejeté, rejoue à travers Alice (Charlotte Gainsbourg) qui cherche ici son sens, une révolution avortée. Après un tel succès il y a 3 ans, on aurait pu espérer qu’avec un sujet aussi fort, les réalisateurs auraient fait se lever les foules. Mais le miel du film en fait une piètre révolution de velours où chacun n’est finalement que le médicament de l’autre. A l’image de la dernière scène du film qui le démontre aisément : le film n’est là que pour que chacun s’échange ses propres gris-gris, pour que deux personnages attachants se sauvent, presque malgré eux. Cessons là les comparaisons. Toledano et Nakache en font bien assez eux-mêmes en mettant en scène des duos, comme eux, que tout oppose mais qui créent ensemble une alchimie à laquelle on croit sans y croire, par la magie du cinéma vue ici comme une machine à miracle, à belles histoires, à émouvoir.


Populaire et exigeant ?


Samba, dernier né du duo Nakache / Toledano, est à l’image de ses affiches toutes resserrées sur le visage serein de ses personnages : sucré, policé, trop sage. Sur les affiches, la lumière est très belle, pas forcément dans le film, qui souffre d’une image plutôt banale et d’une absence souvent flagrante de mise en scène. A la manière de leur immense succès passé, ils opposent aujourd’hui deux figures diamétralement opposées : une paumée en burn-out à la recherche de sens (et de tendresse) et un sans-papiers sous le coup d’une reconduite à la frontière. Derrière ces figures, on aurait aimé plus de corps, de chair, moins de surface. Les blagues arrivent dès le début. Parce que le regard posé sur notre monde malade, de son rejet ou de sa pression, est d’emblée rempli d’humour et d’humanisme. Oui, il y a une vraie volonté chez ce duo d’écrire une rencontre, des rencontres, mais sans aller assez loin. C’est ce qu’on regrette, car malgré l’absence d’un vrai parti pris de mise en scène, les deux réalisateurs réussissent des scènes assez belles, notamment au cœur du centre où les bénévoles, qui tentent de venir en aide aux sans-papiers, officient. L’humour est fort bien dosé car il montre l’absurdité des impasses administratives, souvent mineures mais déterminantes, auxquelles sont confrontés des êtres dépassés. Il y a alors une incompréhension qui domine. Mais leur humour, s’il est bien retranscrit dans les dialogues assez finement écrits, est parfois trop omniprésent. C’est surement que Nakache et Toledano n’ont pas encore bien cerné leur nouveau public. Résultat, ils veulent plaire à tout le monde en contant la rencontre entre Charlotte Gainsbourg – habituée à d’autres films – et Omar Sy leur acteur fétiche que la plupart des spectateurs sont venus voir pour rire. Parce que c’est leur comique et que son personnage, qui se dit effrayé pendant tout le film, ne fait jamais ressentir sa vraie peur. C’est pourtant là tout le sujet du film : l’absence de reconnaissance, le repli sur soi, la peur d’être exposé. Que Samba doive se cacher pour échapper à la police, ou qu’Alice se soit isolée par dépression, aller vers les autres est pour eux, complexe. Quand ils se rencontrent, elle ne sait pas quoi dire, et ne comprend pas, elle non plus, tout ce qui se passe. Elle est naïve dans ce monde, elle pense que tout peut s’arranger. Nous pas. On sait que le cinéma à la Tolenado/Nakache, est une machine à illusion, à miracles, pourtant on ne marche pas toujours. Parce qu’on a du mal à croire à cette accumulation de deus ex-machina sous la forme de rencontres qui font de Samba-Omar Sy un clown malgré lui. Qu’il rencontre un sans-papiers fou d’amour dans le centre de rétention où il reste enfermé, ou un faux brésilien au bagout indomptable, ce n’est que pour faire rire, tout en voulant émouvoir.


On ne peut pas en vouloir à ce film mais plutôt à l’ambition des deux réalisateurs, celle de raconter, au plus grand nombre, ce que c’est qu’attendre des papiers, une identité, une terre d’accueil. Certes, pour raconter la misère, l’humour est tout aussi noble que le drame, mais ici c’est un trop plein d’humour, toutes les répliques semblant être écrites comme pour faire rire. Et pourtant, avec Charlotte Gainsbourg, souvent lumineuse et bien ancrée dans son personnage de dépressive, et les regards qu’elle échange avec Omar Sy, le film tente d’atteindre autre chose. On sait ce que ces deux-là vont finir par s’aimer. Pourtant, on les observe avec plaisir, se chercher, se raconter. Parce qu’elle n’a pas un regard misérabiliste sur sa condition à lui, parce qu’il ne comprend pas bien ce qu’elle a vécu. C’est quoi le burn-out sinon un symptôme d’une société qui va à toute vitesse ? A-t-on le droit d’être déprimé de son travail quand on a face à soi quelqu’un qui donnerait n’importe quoi pour en avoir un stable, rester en France ? D’ailleurs, on ne sait jamais vraiment ce que Samba cherche en France, il voudrait quelque chose mais rêve, comme son oncle, tout autant de rentrer. Alice n’est presque là que pour justifier qu’on commence à vouloir qu’il reste. Son rêve est bien de rentrer un jour, de construire une maison dans son Sénégal natal. Et la France avec lui est ambiguë, ce que montre bien le film. A l’image d’Alice qui se console, cherche un sens en aidant ces sans-papiers mais pourtant veut sa douleur tout aussi – voire plus – légitime. Si Alice cherche un « début d’abus », le film n’en trouve pas, restant en surface, ne tentant jamais de se plonger à corps perdu dans son sujet. La pression que ressentent ces deux-là, ils ne nous la font jamais vivre, nous disant seulement que tout est prétexte à rire, que la misère n’est pas une fatalité. On rit, c’est vrai, mais on attend aussi que certaines scènes gags durent moins longtemps. On ne sait plus où est le drame, où est le rire. Parfois savamment dosée, cette alchimie ne marche pas toujours parce qu’elle est diluée. Notamment face à certains personnages secondaires. A l’image du début d’histoire d’amour entre Alice et Samba, qui au début démarre doucement et ne démarre plus. On aime leur pudeur, leurs regards, leurs blagues, on adore les voire se hurler dessus. Mais rien de neuf. Ce regard épouse trop de sujets à la fois, fait de Samba une quête d’identité qui s’effrite où tout fini bien. Croire en l’amour certes, mais avec plus de fougue, ça aurait été beaucoup mieux. Le film n’a certainement pas d’autre ambition qu’être ce qu’il est, mais il peine pourtant à se décider. Est-t-il plutôt Charlotte Gainsbourg ou Omar Sy ? Le problème c’est qu’il est les deux à la fois, veut s’adresser à tout le monde et finit par « s’enguimauver ». Dommage, car le film n’est pas foncièrement mauvais. Dans le paysage de la comédie française, on sent que Samba est largement au-dessus, qu’il flotte quelque part mais n’a pas encore – comme Alice et Samba dans la société qui les ignore – trouvé sa place.

eloch
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le 18 juil. 2018

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