"La liste des choses qui font battre le coeur..."
Marker nous l'explique ici : la mémoire n'existe pas, nous réécrivons notre histoire .
La trame du film est moins cryptique qu'on ne le dit souvent. On voyage de Guinée-Bissau, aux îles du Cap Vert, en passant par l'Islande et surtout on va s'attarder au Japon, pays qui fascine le cinéaste par sa culture quasi animiste au sein d'une modernité en marche forcée. On aurait tort malgré tout de penser que ce film nous parle d'anthropologie. Marker ne compare pas les cultures, mais il parle bien plutôt du Temps, de notre perception du passé, de notre mémoire.
Ce que Marker découvre dans les îles ce n'est pas une société antique ou révolutionnaire (il y a un léger propos politique aussi dans le film, oui), mais plutôt une qualité du temps, une instantanéité, ce fameux 25° de seconde où le regard de la femme de Bissau se pose enfin. (Il revient plus tard sur cette mémoire instantanée en Islande avec ce film imaginaire où il mettrait comme protagoniste un homme du futur dont la mémoire serait totale, c'est-à-dire sans image)
Le Japon en revanche propose une stratégie autour de la mémoire, une façon de créer des légendes autour des images. Le shintoïsme, les temples aux poupées cassées, les prières pour les chats et la statue du chien sont autant de mémoires fabriquées à partir d'images archétypales. Le temps japonais s'allonge avec les rites. (Marker reviendra ensuite sur la plasticité du temps de la mémoire quand il va à San Francisco sur les lieux du tournage du "Vertigo" de Hitchcock, histoire classique de ré-écriture).
Marker découvre aussi au Japon l' image virtuelle, entité neuve qui habite une contrée appelée La Zone, ( on voit bien le terme "Matrix" dans un plan !). Il se laisse fasciner par ce nouveau monde des images synthétisées, ces jeux vidéo, ce monde artificiel qui sera notre mémoire du futur, remplacement de la mémoire cellulaire. "Je ne comprends pas comment font les gens qui ne filment pas, qui ne prennent pas de photos"...nous dit-il. Il y déniche aussi d'autres problématiques : J'ai trouvé émouvant sa réflexion sur les années 60, la jeunesse japonaise en révolte, jeunesse qui sait qu'elle n'est pas sur un tremplin pour la vrai vie, mais qu'elle est la vie elle-même.
Ce film se regarde aisément, du moment que vous évitez de cherchez toujours la synchronicité des images et du texte. Les images sont le sujet du film ("le code est le message" nous dit-il) mais le texte en est la clé. Ecoutez le texte , regardez ces images du temps qui passe ( un film aussi d' Haroun Tazzieff sur l'ensevelissement des choses! ).
Personnellement j'ai aimé cette séquence du cuisinier japonais qui fait de "l'action-cooking". Cette pratique est totalement dans le sujet et retient l'attention en effet du cinéaste : instantanéité et présence au monde. Zen quoi :-)
Recommandé , car si le film n'est pas vraiment beau (Marker n'est pas Wenders), il regorge de sens et de poésie et saura surement vous toucher.
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