C'est l'histoire d'une jeune femme sans domicile fixe, errant sur les routes en plein hiver, seule avec son sac et dos et sa misérable toile de tente.
Le premier plan du film d'Agnés Varda est un véritable tableau impressionniste, un paysage de vignobles, austère et quelques arbres...La réalisatrice s'y attarde longtemps comme pour nous signifier que le temps est figé à jamais. Le plan suivant nous le confirme puisque nous voyons le cadavre de Mona, dont le prénom n'est presque jamais évoqué dans le film, celui-ci fonctionne en flash-backs, suivant (de très près) et avec une totale impartialité le parcours de la vagabonde grâce aux témoignages de ceux qui ont pu la rencontrer. Car c'est une sauvageonne et elle ne se laisse pas facilement approcher. Mona est solitaire. Est-ce par choix ? Nous ne le saurons jamais réellement. Ainsi va t-elle croiser le chemin de quelques personnages pittoresques qui vont partager un instant sa vie cruelle : des zonards, une bonne (formidable Yolande Moreau), des ouvriers, un maghrébin qui travaille dans les vignes, une universitaire ( Macha Méril), un couple de bergers post 68, désabusés et amers, un routier pervers...Toutes ces personnes seront touchés d'une manière ou d'une autre par cette apparition presque fantasmatique, toutes nous délivrent leurs témoignages en direct face à la caméra, ce qui renforce l'aspect documentaire du film et le rend ultra-réaliste. Il n'y a de la part de Varda aucun jugement, aucun parti-pris. Elle suit Sandrine Bonnaire avec empathie et sans fioritures mais la façon dont elle la filme, avec un objectif de caméra froid comme les pierres, en plans fixes, provoque une distance dérangeante, qui nous interpelle.
Mona est seule, extrêmement seule mais libre. elle fait peur à certains, amuse Macha Méril, d'autres l'envient, elle ne laisse personne indifférent. C'est que, à chaque fois qu'elle rencontre quelqu'un, elle met celui-ci ou celle-là en face de ses démons et de son impuissance. C'est pourquoi personne, absolument personne ne peut venir au secours de cette jeune femme et d'ailleurs, Mona ne leur demande rien, sinon de lui laisser son libre-arbitre; Notre nature humaine voudrait qu'on l'aide, qu'on la recueille, qu'on lui offre un gîte et un couvert, tant la situation est désespérée et Sandrine Bonnaire bouleversante, toute en innocence et à la fois extralucide sur sa condition.
Il y a des scènes mémorables : Mona partageant une bouteille de Cognac avec une vieille dame qui n'a pas perdu la tête et dont le neveu attends la mort avec impatience pour pouvoir acquérir la maison avec l'aide de sa femme, vénale et rigide, et le pauvre garçon de lui faire les ongles des pieds sous les quolibets...
Une autre scène montre Mona et l'homme pétrifié de peur car il est en face d'elle et son visage est littéralement masqué par ses cheveux longs et sauvages secoués par le vent violent, presque surréaliste. D'ailleurs, le surréalisme est souvent tout près dans le film, notamment dans la scène du village pendant la fête du vin où les hommes avinés sont déguisés en arbres, dégoulinants de vin mauvais, hystériques, rendus fous par l'ivresse, là, nous sommes à la lisière du fantastique. (Tout comme la scène où Macha Méril s'électrocute devant son miroir et frôle la Mort de près, ici, ça bascule dans l'horreur.).Le vin jouant le rôle du sang qui va se glacer dans les veines de Mona.
Agnès Varda n'épargne rien au spectateur et n'épargne pas non plus la société ni son héroine qui subit même un viol. Le spectateur est pris dans une spirale paradoxale : on aime Mona, elle est belle et émouvante mais on baigne dans une atmosphère de cauchemar. La société des gens "normaux", ceux qui travaillent, en prend donc pour son grade : les gens font (ou pas) ce qu'ils peuvent, en bien ou en mal, souvent par charité chrétienne, pour se déculpabiliser, mais aussi parce que Mona est humainement très attachante. On veut l'aimer et ne pas la voir s'égarer mais ce n'est pas son choix et nous avons le devoir de la laisser décider seule de son avenir qui, nous le savons depuis le début est sombre. C'est un voyage au bout de l'enfer que nous vivons, entrecoupé d'instants magiques et merveilleux, mais rares. L'émotion est pure et vitale. Nous aurons vécu une vie entière au final en une heure trente de film. C'est triste et désenchanté mais bouleversant. La vie selon Agnès Varda, sans aucun doute.
One_eyed_jack_s
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le 22 mars 2014

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Nicolas Delmas

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