Quand on connait l’œuvre pluridisciplinaire (littérature, bande-dessinée, performances etc.) d’Alejandro Jodorowsky, on associe rapidement le mot « folie » à ses réalisations. Ça tombe bien, Santa sangre regroupe la plupart des ingrédients de ce brave Jodo.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, faisons preuve de politesse, ce monsieur mérite bien une présentation, aussi brève soit elle. Jodorowsky est connu pour ses nombreux scénarios de bande-dessinée, dont certains ont marqués l’histoire du neuvième art. Il a notamment collaboré avec Moebius (RIP) sur L’incal, un voyage initiatique sur fond de science-fiction dystopique. Vu que notre sujet reste le cinéma, on retiendra qu’il a réalisé La montagne sacrée en 1973, un OVNI proche de l’hommage au LSD. Les thèmes qu’il aborde sont souvent dérangeant, avec des personnages généralement imprégnés dans divers traumatismes (complexe œdipien, schizophrénie etc.). Les scénarios qu’ils développent sont également empreints de notions philosophiques proches du voyage initiatique, de la culture psychédélique. Bref, si le cœur vous en dit, je n’ai aucun doute sur le fait que vous connaissez wikipédia pour de plus amples informations.
L’histoire débute dans un asile psychiatrique (et oui…), Fénix est dans une cellule où figure un perchoir. Ses docteurs semblent résigner au mutisme de Fénix, ils ont semble-t-il accepté qu’il se comporte comme un oiseau. Ce comportement somme toute étrange, s’explique par un flashback sur le passé du jeune homme, une quinzaine d’année plus tôt. Elevé dans le milieu forain, Fénix grandit dans un contexte de lutte. Sa mère, prêtresse d’une secte adorant une femme sans bras est conspuée par le clergé catholique et subit le joug de l’Etat qui organise la destruction de son église. Son père, directeur d’un cirque est gros, moche, alcoolique et infidèle, il ne peut résister à la tentation de la femme au serpent (qui fait partie du cirque). Le couple impropre à toute relation saine va violemment se détruire sous l’œil indiscret de Fénix, ils vont alors se mutiler. La mère en perdra ses bras, le père la vie puisqu’il décide de se couper la jugulaire après avoir été affreusement mutilé aux parties génitales. L’innocence, la pureté de Fénix est à jamais perdue, elle s’envole avec Alma, une gamine de son âge sourde qui interprétait un rôle de mime. Elle suit malgré elle sa mère, la femme au serpent qui prend la fuite. Fénix en était fou amoureux, dorénavant seule le blanc de sa cellule reste pur, son esprit est à jamais souillé. De retour dans le présent, Fénix cède à l’appel de sa mère, il fuit sa cage et deviendra ses bras vengeurs. Son seul espoir de rédemption est de croiser Alma sur son chemin qui n’a pas été gâtée par le destin elle non plus.
Santa sangre comme beaucoup d’œuvres de Jodo est un hommage à Freaks. La galerie de personnages rencontré est édifiante : éclopés, nains, transsexuelle, prostitué difforme, fous en tout genre. Le réalisateur traite son sujet en utilisant une esthétique symbolique, parfois chatoyante, souvent sombre et gore, se rapprochant même parfois du Giallo. Néanmoins, ne vous méprenez pas, il n’utilise pas des personnages marginaux pour en faire un musée des horreurs, on sent qu’il a une réelle affection pour eux. Parmi ces protagonistes, certains sont attachant, d’autres d’une méchanceté à toute épreuve. En somme, rien d’anormal pour le genre humain.
L’un des points central du film est la relation entre Fénix et sa mère, la folie qui en découle. La manière dont elle est traitée est tout à fait originale, lorsque ces deux personnages ne deviennent qu’un, une formidable synchronisation de mouvements se met en marche, du plus bel effet et évidemment remplis de symboles.
Derrière tous ces sujets dérangeant aux premiers abords, le film baigne dans la poésie. Fénix est un personnage maladroit, victime de ses traumatismes. Son évolution personnel est resté bloqué à ses dix ans, le choc qu’il a subit l’a à jamais tétanisé. Ses actes ne sont qu’une tentative destructrice de s’échapper de son destin, il ne cherche qu’à bruler et renaitre de ses cendres. Son seul espoir tout le long du film est entretenu par la relation amoureuse et innocente qu’il entretient avec Alma. Jodorowsky vise juste et on fuit lentement toutes les horreurs du monde de Fénix avec lui.
Œuvre dérangeante mais incroyablement poétique, quelque part c’est ce que Jodorowsky a toujours cherché à faire. Malgré une réalisation parfois vieillissante et un jeu d’acteur moyen (en particulier Axel Jodorowsky qui incarne Fénix adulte), Santa sangre ne laisse pas indifférent et berce le spectateur dans une abime de folie. On ne peut alors refuser les échappatoires lyriques proposés durant le film, seul rédemption possible.
15/20