C'era una volta, l'Italia solidale...

SANTIAGO, ITALIA (15,1) (Nanni Moretti, ITA, 2018, 80 min)


Quatre ans après l'émouvant Mia Madre (récompensé par le Prix du jury œcuménique au Festival de Cannes 2015), le réalisateur militant italien repasse derrière la caméra pour nous conter l'histoire méconnue du recueil de centaines d'opposants chiliens au régime du général Pinochet au sein de l'ambassade italienne, suite à son coup d'état du 11 septembre 1973.


La première image montre Nanni Moretti contempler d'en haut et en silence, la mégalopole Santiago (capitale du Chili), entourée par les sommets enneigés), et indique ainsi d'emblée la démarche du cinéaste, prendre de la hauteur sur les évènements passées et regarder vers l'avenir ! Ce retour intrigant au documentaire, après l'engagé La Cosa (1990) sur le Parti Communiste italien, vient à la suite d'une visite au Chili, où le cinéaste redécouvre l'histoire de jeunes diplomates venant au secours de six cents demandeurs d'asile qui ont trouvé refuge à la répression militaire d'Augusto Pinochet. À travers plus de quarante heures d'entretiens, le metteur en scène décide d'exhumer cette singulière histoire chilienne et italienne, liée par un même élan de fraternité.


Dans un premier temps Nanni Moretti s'attarde sur la campagne présidentielle et l'avènement au pouvoir du président Salvador Allende (socialiste soutenue par la coalition Unité Populaire), élu démocratiquement le 4 septembre 1970. L'auteur illustre ce vent d'espoir que sa candidature (soutenue notamment par le poète Neruda) et son élection ont suscité au sein du peuple de son pays, et relate tous ces évènements par le biais d'archives inédites et de témoignages où le bonheur et la liberté de vivre font corps. Le cinéaste poursuit ensuite sur la même veine et contextualise habilement pour chroniquer au mieux les bouleversements politiques tragiques qui vont survenir. La tension voit le jour, la CIA s'implique de manière implicite, le général Pinochet se montre de plus en plus menaçant à travers les et pose même un ultimatum au président pour l'inciter à démissionner.


Au petit matin du 11 septembre 1973, l'armée aux côtés du général entre en scène de façon terrienne dans les rues et de la capitale et des avions de chasse sillonnent le ciel, le président fusil à la main adresse à la radio un dernier message en guise d'adieu. Puis de manière stupéfiante et surréaliste à l'aide de surréalistes images d'archives nous voyons le palais de la Moneda bombardé par d'intenses tirs de roquettes. Le président Salvador Allende décède dans l'assaut. Le coup d'État est réussi. Le général Augusto Pinochet instaure de suite le couvre-feu et son effroyable dictature militaire sanglante. Les témoignages pudiques, toujours recueillis sobrement face caméra, narrent avec émotions comment eux-même et tous les opposants au régime, les partisans de l'ex-président ont été arrêtés, emprisonnés au sein même de stades de football, torturés et exécutés notamment. Ce sobre langage cinématographique formel sans esbroufe implique une certaine neutralité de la part du réalisateur, et l'envie première que ces paroles nous aillent sans détour droit au cœur. De ces mots résonnent une certaine forme de résilience envers leurs bourreaux. La puissance des paroles de la part de ces victimes qui ont pu de manière épique (en escaladant chacun un mur de deux mètres de hauteur sous la surveillance armée des militaires) trouver « miraculeusement » refuge au sein de la villa de l'ambassade italienne, pour former une véritable communauté de six cents personnes, avant leur asile et leur accueil en Italie, force le respect du réalisateur constamment en hors-champ pour ne pas phagocyter l'attention du spectateur. Sauf lors d'une entrevue avec un ancien militaire condamné, emprisonné et purgeant sa peine, qui justifie la torture avec une mauvaise fois édifiante, où de manière impartiale Nanni Moretti rentre dans le champ de la caméra pour recadrer promptement le vieil homme rabougri.


En ravivant de manière cinématographiquement convenue ces faits historiques, le cinéaste compassionnel manque peut-être d'un peu d'ambition formelle mais il extrait l'essence essentielle : l'élan de solidarité dont l'Italie a pu faire preuve sans conditions à cette époque. L'impact de ce constat est d'autant plus puissant à l'heure où le populiste Matteo Salvini (ministre de l'intérieur) mène une politique répressive et très stricte envers les migrants et demandeurs d'asile. En se retournant sur un passé oublié, Nanni Moretti interroge avec pertinence et humanisme le présent de son pays (et plus largement des autres pays européens) pour en faire un surprenant portrait sans concession, d'une terre qui n'est malheureusement plus accueillante car refermée sur elle-même. Avec ce captivant documentaire le cinéaste nous livre une parabole historique engagée, un efficace plaidoyer de solidarité qui met du baume au cœur. Passionnant. Émouvant. Salutaire.

seb2046
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le 1 mars 2019

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