D'un point de vue catho-soralien les carottes sont cuites

Derrière sa présentation (promotion et introductions) grotesque mais encore puérile se cache une petite tornade au rayon 'dessins animés à décommander aux enfants'. Cet habillage est la principale raison du choc éventuel face à Sausage Party ; il est surprenant dans la mesure où on s'attend à un produit ouvert au public familial (le réalisateur Conrad Vernon travaille habituellement pour Dreamworks – c'est le réalisateur de Shrek 2 et Monstres contre Aliens). Sans cela, il n'est qu'un exercice de potaches corsé. Mais ses excès lubriques et son supplément d'esprit (âme serait impropre) fournissent de quoi percuter les plus blasés ou avertis.


Sous-titré en français 'La vie privée des aliments' (probablement en référence à la série comique La vie privée des animaux, tapant dans le registre Bigard pour enfants), Sausage Party pose les bases d'un film d'animation classique et enfantin. Dans le paquet de saucisses choisi pour le spectateur s'en trouve une 'différente' : petite et grosse (donc plus vigoureuse – c'est la volonté du texte). Frank, une autre saucisse (mâle par définition), est amoureux d'une pulpeuse brioche (Brenda). Ces aliments croient au « grand au-delà » et attendent avec impatience et euphorie d'être emportés par « les dieux » pour connaître le meilleur des mondes. Les mécanismes typiques sont mis en branle, une énième initiation à la sauce Disney/Pixar se profile (on pensera surtout à Toy Story).


Dès le départ une chose cloche : le langage, d'une vulgarité radicale. « Fuck », « asshole » & sous-entendus scabreux sont mitraillés par rafales. Puis les dieux entrent et avec eux le cameltoe. C'est parti pour une heure et demie où à chaque minute et presque chaque gag, le sexe est en jeu (la séquence des sels de bain est une longue exception – la meilleure partie, avec un nouveau personnage exquis). Les double-sens inaccessibles aux enfants auront duré quelques minutes, place au gras assumé ! Les remarques lubriques pleuvent, avec ce genre de sommets : « faites la file en attendant que je vous enfile », « T'as la pine qui dégouline » (6e & 20e min – en version québécoise). La petite et grosse saucisse explore la ville, c'est-à-dire l'enfer humain au lieu de l'au-delà ; Frank et Brenda se retrouvent dans les zones sombres ou marginales du supermarché, s'approchant de la vraie nature du monde, à tous degrés !


Les humains ne sont pas ce que croient les aliments et objets domestiques ; ils sont insatiables, égoïstes et cruels. Après la vie ici-bas c'est l'horreur qui nous attend.


Les produits non-périssables ont inventé cette histoire de 'l'au-delà' et imposées de « fausses vérités » pour apaiser et contrôler la population.


Par ce biais, les auteurs placent un point de vue basique et cynique sur le pouvoir et l'organisation des masses. Les angles morts sont nombreux mais encore faudrait-il que le film (incluant opportunément des références sociétales, géopolitiques) se laisse prendre au sérieux ; mais sur sa ligne principale il reste une faute. Si les volontés divines sont un argument rêvé pour le pouvoir, les cas extrêmes pris ici, c'est-à-dire les deux grands représentants du fascisme, font partie des nombreux contre-exemples.


Ces références au nazisme et à Mussolini ont davantage pour mérite d'amuser la galerie (et le chef des nazis finira joyeusement bourré comme les autres – gentils & normaux) et dépeindre les tyrans en frustrés embarqués dans une folie compensatrice. El Duce (la 'douche') s'avère une terrible brosse à chiottes, qui au passage éprouve les mexicanos et les utilise comme un patron abusif. De nombreuses références à l'actualité et à la géopolitique servent d'agréments ; entre la crêpe muslim et le beagle juif un boulevard s'ouvre, qui sera rempli d'injures policées et terminera, forcément, en réconciliation – la nuance, c'est qu'ici il faut une triple couche de lubrifiant pour s'abandonner au 'politiquement correct'. Cette histoire sera celle d'une révolution et de la mise à mort des illusions ; au bout de laquelle se trouve une orgie !


Libérés des dieux, les aliments basculent dans la débauche ultime. Baisodrome géant au supermarché ravagé ; le film arrive au bout de l'explicite et aligne quelques pratiques musclées. Après L'Interview qui tue (2014), à la sortie repoussée pour raisons diplomatiques (cette comédie visait la Corée du Nord), le tandem Seth Rodgers/Evan Goldberg a réussi à placer un nouveau scénario chargé en nitroglycérine, malgré une relative lâcheté face aux pouvoirs établis (ceux pris pour cible étant destitués ou ennemis 'publics'). Ces deux films marquent un prolongement de la galaxie Appatow, qui recycle ses troupes (en plus des scénaristes, Jonah Hill et Michael Cera présents ici au doublage VO) et ses 'exploits' (Sausage Party multiplie les références à leurs productions passées – SuperGrave, Délire express).


Compte tenu de sa source et de son retentissement, Sausage Party pourrait participer à décupler la vulgarité, la grossièreté et les références explicites dans l'animation et la comédie 'mainstream' ; entre les Minions en string et l'insolence de South Park. En lui-même, Sausage Party renvoie déjà Ted l'ourson trash à sa place de connard odieux obsolète. Mais la banalisation de cet esprit pornographique, ce culte des divertissements et désirs primaires (drogue, fête et sexe comme accomplissements – avant une fin ouverte ambitieuse) de la part de grandes firmes (le film est distribué par Columbia, donc par Sony qui l'a racheté en 1989) interroge, le public adolescent (et adulescent) étant la cible principale. Au moins ce 'trip' dégénéré n'avance pas masqué – hormis via son format qui créera des malaises, à cause des parents/tuteurs confus ou absents.


https://zogarok.wordpress.com/2016/12/13/sausage-party-la-vie-privee-des-aliments/

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le 12 déc. 2016

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Critique de Sausage Party : La Vie privée des aliments par Cinemaniaque

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