Avec Sauvage Innocence, Philipe Garrel s'attaque à un sujet fort par des moyens détournés. L'histoire raconte les pérégrinations de François, un réalisateur qui souhaite se lancer dans un nouveau long métrage contre la drogue et la mafia, dans le but d'exorciser de vieux démons du passé.


Garrel réduit magnifiquement ses personnages à l'état de marionnettes sans jamais émousser l'authenticité de son propos. Le jeu d'acteur du trio principal est d'ailleurs tout simplement excellent. Que ce soit le charismatique Mehdi Belhaj Kacem au regard hypnotisant, la vulnérable et envoutante Julia Faure ou le désinhibé Michel Subor, le casting évolue librement dans l'étroite cage narrative que leur impose le réalisateur pour nourrir sa démonstration, sans jamais quitter l'élan de spontanéité qui les anime. Le montage, très abrupt et elliptique, ne rend pas leurs trajectoires mécaniques et artificielles, au contraire, il nous laisse l'impression d'assister à des instants de vie volés, qu'ils soient notoires ou anodins. De la vitrine qu'on toise avec avidité aux grattouilles qu'on réclame sous la couette, ces moments de simplicité apportent du contraste et nous immergent d'autant plus fortement dans les abysses de cette tragédie.


J'aime aussi la manière dont Garrel orchestre sa mise en abime.



Le problème c'est que tu essaies de jouer avec ce que tu veux montrer. Faut que tu joues avec ce que tu essaies de cacher. Faut que tu sois comme si quelqu'un lisait ton journal intime sous tes yeux.



Cette frontière de plus en plus ténue entre les différentes 'réalités' prend un caractère presque ludique. À l'image d'une scène de tournage comprenant un travelling. La caméra de Garrel avance en même temps que celle de François et continue sa course alors que l'autre s'arrête en fin de rails. De la même façon, Sauvage Innocence transcende son propos et va plus loin qu'un simple pamphlet contre la drogue. Le sacrifice de nos idéaux est-il un renoncement acceptable pour les assouvir ? Dans le cas de François, la réponse est évidemment funeste. Fuir une réalité douloureuse en s'enfermant dans sa reconstitution "fictive" n'aura finalement pas donné le résultat escompté.


Et que dire de tous les artifices techniques qui siéent parfaitement au film ? Cette magnifique photographie dotée d'un très beau noir et blanc et de cadres extrêmement bien travaillés qui captent toujours les regards des personnages, notamment par d'habiles jeux de réflexion. Ces notes de pianos fugaces qu'on effleure ou qu'on bourrine pour appuyer les émotions. Ces fondus au blanc qui deviennent des fondus au noir, accompagnant la noirceur ambiante qui s'installe progressivement.


Sauvage Innocence est un film qui déborde de richesses. Il me donne à la fois l'envie d'avaler le reste la filmographie de Garrel et ne fait que confirmer mon attraction pour ce pan du Cinéma.

GigaHeartz
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le 1 sept. 2016

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