Découvrir Saw en retard, c'est l'assurance d'être rebuté par la réputation de ses suites. La saga a popularisé le terme "torture porn" qui correspond à tout ce que je déteste , le mot clé pour représenter mon rejet n'étant pas "torture" mais "porn". Voir des gens poussés dans leurs dernières limites et découvrir en quoi cela peut les transformer ou comment ils peuvent se défendre, c'est passionnant quand c'est bien fait. Se farcir un simple défilé de charcutages et de hurlements parce que le gore constitue une fin et non un moyen, je trouve ça inintéressant. Heureusement ce premier épisode évite ce piège et choisit une meilleure manière de traiter l'horreur.


Deux personnes qui ne se connaissent pas se réveillent enchaînées dans un huis-clos. Leur ravisseur Jiggsaw leur apprend que l'un d'eux a 8 heures pour tuer l'autre sans quoi sa femme et sa fille mourront et eux resteront enfermés toute leur vie. 8 heures c'est bien assez long pour les inciter à chercher d'autres moyens de s'en sortir, fouiller l'endroit, en apprendre plus sur l'autre et bien sûr pour s'user mentalement. Le propos est donc de voir ces prisonniers gigoter dans leur prison pour tenter d'échapper à leur destin, en apprendre plus sur la situation, mais surtout de les observer lorsqu'ils paraissent jouer un double-jeu. Ils doivent choisir entre suivre les règles qu'on leur impose ou tricher pour s'épargner des souffrances morales et physiques tandis que les révélations qu'ils découvrent influencent progressivement leur tactique silencieuse. C'est nettement plus ludique que le parcours semés d'épreuves à la gloire de la souffrance vaine, même si des flashbacks nous montreront que d'autres candidats ont eu à le subir.


Parlons brièvement de ces passages qui ont fait la renommée de la série mais qui sont ici peu nombreux. James Wan a beau rendre son film interdit aux moins de 16 ans dans nos contrées, il use principalement de suggestion et limite la violence graphique au profit de la violence psychologique. On sait ce que les candidats ont subi, on devine leur douleur, mais on ne nous la met pas sous le nez pour l'admirer en gros plan et on ne s'attarde pas sur leur cas. Cette barbarie cherche d'ailleurs à se justifier en se raccordant aux fautes commises par les victimes, à la manière de Se7en. Cela permet de se donner l'impression que ces mises en scène sont moins gratuites qu'elles n'en ont l'air, voire qu'elles auraient du sens, mais soyons honnêtes : tout cela n'est qu'un prétexte thématique. Ces épreuves sont loin de permettre aux personnages de se remettre en question, ou alors ce n'est pas mis en valeur parce que le réalisateur s'en fiche : untel a essayé de survivre et a échoué, point. Leurs fautes sont d'ailleurs légères et ne justifient pas un tel acharnement, le film ne saisira pas l'opportunité qui lui est offerte de faire une critique sociétale contrairement à ce que paraît affirmer Jiggsaw. Par exemple le chirurgien subit le jeu pour une raison bien précise qui est exploitée dans son châtiment, mais sa contrainte de tuer son voisin ne fait écho qu'à son métier qui demande de sauver des vies. Je me suis dit que cela devait indiquer qu'il détournait son métier de chirurgien à des fins abjectes et qu'il était donc puni par là où il avait fauté, comme pour les autres. En réalité cela ne sert qu'à apporter une touche d'ironie gratuite. Les fautes que Jiggsaw souhaite dénoncer en les retournant contre ses victimes paraissent donc bien faiblardes, parfois c'est carrément l'hôpital qui se fout de la charité. Le mec a espionné la vie de ses victimes dans les moindres détails pour les piéger et il en condamne un pour voyeurisme, il se foutrait pas un peu de nous ? Même le dévoilement des prisonniers manque de mordant faute de surprendre. La dimension morale du film se montre ainsi étonnamment sage, il aurait pu être bien plus vénéneux que cela en exposant pleinement des vices cachés qui auraient un sens social plus radical.


Saw passe un peu à côté de son potentiel sous-texte, mais il demeure prenant. La découverte de cette prison excessivement glauque laisse efficacement présager de l'horreur que subiront les personnages et l'écriture correcte permet de faire progresser leur enquête à bon rythme. Ils pataugent dans leur prison crasseuse et tout dans leur gestuelle maladroite ou leur besoin de ramper traduit leur faiblesse. Il y a des rebondissements qui ne paraissent pas trop forcés car ils sont préparés par Jiggsaw pour imposer aux personnages de communiquer sur des points qu'ils préféreraient éviter. En tant que simple thriller il pourra distraire car le film maintient constamment la curiosité du spectateur. En revanche il a du mal à marquer sa mémoire lors du dénouement qui doit présenter l'explosion mentale que l'on attend depuis le début. On savait qu'on y aboutirait, on nous l'annonce très clairement, donc on ne risque pas d'être remué lorsque ça arrive (hors problèmes de tolérance à la violence graphique). D'ailleurs les personnages peinent à accrocher le spectateur, les flashbacks se montrant parfois envahissants. Fallait-il vraiment nous présenter leur capture ? Le suspense de ces enlèvements passés est nul, leur valeur explicative aussi. Ça sent le remplissage. Enfin j'ai été déçu par la réalisation de James Wan. Déjà son imagerie est clichée, il n'y a guère que dans la fantasy que je peux vaguement prendre au sérieux les méchants en capuche noire de prêtre sataniste. Ensuite ses flashs m'agacent beaucoup. Un fameux passage représente la peur hystérique d'un personnage avec un travelling circulaire accéléré, tellement accéléré que je trouvais ça ridicule. Je ne voyais pas la peur submerger le personnage, je ne voyais qu'une réalisation tape-à-l’œil. On retrouve ça lors de brefs moments d'action où la rapidité n'a pas réussi à représenter chez moi la nervosité.


Le film a trouvé rétrospectivement de l'intérêt dans sa mécanique de l'acceptation. Les huit heures que les personnages passent enfermés leur permettent de renoncer à chercher une sortie confortable puisqu'ils auront eu le temps de tout essayer. Car c'est ce que Jiggsaw impose à toutes ses victimes : accepter leur châtiment en ne leur laissant qu'une seule échappatoire, comme un level designer configurerait son niveau de façon à ce qu'on ne puisse le finir qu'après en avoir tiré les leçons. Le plus drôle est que James Wan trolle ses personnages avec le coup des toilettes où ils choisissent d'emblée la solution la plus pénible alors que pour une fois ils pouvaient s'en sortir sans peine. L'un d'eux précise qu'il aurait fallu commencer par ça dès le début, il ne croit pas si bien dire puisque le film repose sur le choix de repousser l'inéluctable. Quel dommage que ce thème soit conclu de manière aussi expédiée : même si James Wan paraît détourner cette question de la résignation pour rouler ses personnages lors du finale, en vérité il n'en est rien.


Ce huis-clos demeurait intéressant mais son essai n'est pas totalement transformé. Son empressement amoindrit son développement psychologique tandis que ses flashbacks cassent parfois le rythme. Il faudra se raccrocher à son ambiance glauque pour y trouver un point sans faille, encore qu'elle en fait parfois trop (de la crasse, du sang, du caca, de la rouille et même des symboles ésotériques : il ne manque plus que les mouches, le pipi et les appels à l'aide tracés avec les ongles). Cette atmosphère constitue l'attraction principale d'un film qui se laisse suivre et offre de belles pistes, ainsi qu'une concurrence prenante quoi que pas assez exploitée à mon goût. J'aurai juste souhaité que Saw soit plus machiavélique ou que ses personnages fades me fassent vraiment craindre pour leur survie.

thetchaff
6
Écrit par

Créée

le 10 juil. 2017

Critique lue 298 fois

2 j'aime

thetchaff

Écrit par

Critique lue 298 fois

2

D'autres avis sur Saw

Saw
SanFelice
8

Let the game begin

Stygian Street. C'est la rue où se cache Jigsaw, le tueur au puzzle. Stygian Street. La rue du Styx, un des trois fleuves des Enfers grecs. Et c'est bien l'enfer que nous décrit ce film. Un enfer où...

le 29 avr. 2012

65 j'aime

8

Saw
velvet
8

Une énigme macabre aux relents d'agonie

Je conçois que l'on puisse détester SAW, pour des raisons tout à fait valables. Personnellement, j'adore, et pour des raisons tout aussi valables. La première chose à prendre en compte, si l'on veut...

le 6 août 2011

28 j'aime

3

Saw
Marius
4

Le septième Saw

Saw what? Il est où le film qui fait trembler les ados du monde entier? Il est où le spectacle gore-trash-trop-dégueu-qu'il-va-te-déboiter-les-yeux-de-tes-orbites? Je pensais me faire torturer par...

le 8 juil. 2011

28 j'aime

1

Du même critique

Seven Sisters
thetchaff
5

On aurait dû faire un calendrier à 5 jours

Des mini-divulgâcheurs se sont glissés dans cette critique en se faisant passer pour des lignes normales. Mais ils sont petits, les plus tolérants pourront les supporter. Seven Sisters est l'exemple...

le 2 sept. 2017

94 j'aime

9

Matrix Resurrections
thetchaff
6

Méta rixe

Cette critique s'adresse à ceux qui ont vu le film, elle est tellement remplie de spoilers que même Neo ne pourrait pas les esquiver.On nous prévenait : le prochain Matrix ne devrait pas être pris...

le 27 déc. 2021

70 j'aime

3

Zack Snyder's Justice League
thetchaff
6

The Darkseid of the Moon

Vous qui avez suivi peut-être malgré vous le feuilleton du Snyder Cut, vous n'avez sans doute pas besoin que l'on vous rappelle le contexte mais impossible de ne pas en toucher deux mots. Une telle...

le 19 mars 2021

61 j'aime

4