C'est fou tout ce qu'on peut faire avec une scie. Découper des trucs bien sûr, mais aussi faire peur aux petits enfants, saboter la voiture de son voisin, produire des sons étranges en tordant la lame, voire s'en servir comme d'un cintre si sa forme est adéquate. Bon, évidemment, on peut aussi l'utiliser pour nommer un film, et là, tout de suite, on sait que vous n'êtes plus là pour rigoler. Quand vous produisez un long-métrage qui s'appelle SAW, le public vous attend au tournant niveau gore, hémoglobine, sadisme et démembrements.

Et quand on voit le catalogue d'outils à disposition, on se dit qu'il y a de quoi faire ! Scie égoïne, scie circulaire, scie sauteuse, scie chirurgicale, scie à métaux, scie maman scie, maman scie tu voyais ma vie... Pourtant, il n'y a pas tant que ça, de scies, dans ce film. Tout juste si on en aperçoit une paire, dans les WC ; drôle d'endroit pour les ranger d'ailleurs. Et elles cassent vite en plus (je vous le dis, elle est loin la Deutsche Qualität). Ainsi, rien que pour la manière éhontée avec laquelle est traitée un objet aussi noble que la scie, ce film ne vaut pas plus de 5. Bon, ok, il y aurait peut-être d'autres raisons, mais celle-là est suffisante, non ?

... Non ? D'accord, je continue.
SAW, donc, se veut être un thriller à la fois horrifique et psychologique, et c'est là qu'à mon sens le bât blesse : à vouloir trop jouer sur les deux tableaux, James Wan ne sait plus vraiment ce qu'il fait (ou veut faire) et ne pousse pas bien loin dans chacune des deux directions. Concernant le côté épouvante/horreur d'abord, soyons clair, SAW ne fait pas très peur, même pour un grand sensible comme moi. Au final il y a assez peu de scènes vraiment gores et le spectateur appréhendant la débauche d'entrailles n'aura pas beaucoup d'occasion de se cacher les yeux tout en se recroquevillant dans son canapé. Même quand le scénario s'enhardit en faisant brièvement manipuler des tripes par une pauvre jeune femme à l'excentrique couvre-chef, l'accessoire en question tient plus de la guirlande de saucisses knackis trempées dans du ketchup que de la bonne tripaille dégoûtante. Peut-être eut-il été préférable de prendre le parti ne rien montrer, et de s'y tenir tout du long, plutôt que de rester à mi-chemin entre la suggestion et l'horreur visuelle et en fin de compte n'être convaincant ni dans l'un ni dans l'autre.

Pour ce qui relève de l'aspect psychologique (tension, suspense, malaise, tout ça tout ça), je suis là encore resté un peu sur ma faim, malgré le délicat fumet des knackis susnommées. Il y a des bonnes idées (la marionnette délicieusement difforme, la méticulosité du tueur, tout le mystère l'entourant etc.) mais elles sont généralement desservies par un scénario somme toute un peu faiblard. Quid de la motivation de Jigsaw, du choix de ses victimes, de la signification du "jeu" auquel il se livre ? L'absence de réponses, bien que ménageant de facto un espace à l'interprétation, laisse le spectateur un peu perplexe et pas bien convaincu, l'empêchant de rentrer complètement dans le delirium sadique du psychopathe aux lames dentelées. L'immersion est d'autre part cassée par l'irruption de plusieurs flashbacks, qui nous expliquent les liens entre les personnages mais sont amenés fort maladroitement par des répliques du genre "Ah oui, je me souviens de ça maintenant...". Le tout semble artificiel et ruine un peu l'atmosphère de SAW, qui du coup donne l'impression d'être construit de manière scolaire et pas très inspirée. Dans le même ordre d'idées, les acteurs font le boulot, sans plus ; aucun personnage ne sucite réellement l'empathie, ni le dégoût. En somme le rendu est honnête, mais pas folichon.

Au rayon des qualités, notons tout de même un bel effort d'imagination quant à la mise en scène des crimes de ce brave Jigsaw. Cet aimable personnage devrait inventer des gages pour les jeux du style Action/Vérité, on serait sûr de passer un agréable moment ! De même, le twist final bien foutu laisse le spectateur sur une bonne impression, à l'image de tout le dernier tiers du film qui se révèle être bien plus tendu et prenant que le reste.
La conclusion d'un SAW sympathique mais pas franchement inoubliable, vu, digéré et remisé au placard tout de suite après.
Alagus
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le 12 déc. 2014

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Alagus

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