Le nom de Rafael Sabatini est sans doute bien oublié de nos jours, et pourtant il n'est pas inconnu du cinéphile amateur de classiques hollywoodiens. En effet, les romans de l'écrivain italien ont donné quelques uns des plus beaux films de cape et d'épée, entre autres sous la direction de Michael Curtiz (Capitaine Blood et L'Aigle des mers, tous deux avec Errol Flynn). Comme ces deux titres précédents, Scaramouche avait déjà bénéficié d'une adaptation à l'époque du muet, réalisée en 1923 par Rex Ingram, mais c'est bel et bien la version de George Sidney qui restera dans l'histoire (à noter, pour l'anecdote, qu'un acteur a joué dans les deux adaptations : Lewis Stone, qui tient le rôle du méchant dans la version muette, et qui se retrouve dans le rôle du père de Philippe dans la version de George Sidney).
Scaramouche marque l'apogée du film de cape et d'épée hollywoodien, et il est parfaitement représentatif des productions de la MGM de ce début d'années 50 : des films de divertissement colorés et mouvementés, au rythme soutenu, et fourmillant de célébrités. Et nous sommes ici en plein dans une production typique de la MGM. Le Technicolor est remarquablement employé et met en valeur toute une palette de couleurs, que ce soit dans les costumes ou les décors, signés du génial Cedric Gibbons. Stewart Granger venait de se rendre célèbre en incarnant l'aventurier Allan Quatermain dans Les Mines du roi Salomon, de Compton Bennett. Face à lui, Mel Ferrer, danseur de formation, est remarquable de sournoiserie, avec son sourire méprisant et son charisme démoniaque.


L'histoire de Scaramouche n'est pas sans rappeler celle du Bossu. Dans la France pré-révolutionnaire (mais la France vue par Hollywood, ne l'oublions pas : y chercher un quelconque souci de réalisme historique serait une totale perte de temps), le jeune et fougueux Philippe de Valmorin (incarné par Richard Anderson : les anciens se souviendront de son rôle dans les séries L'Homme qui valait trois milliards et Super Jaimie), aristocrate pétri d'idées républicaines, se fait tuer par le marquis de Maynes, favori de la reine et maître dans l'art de manier l'épée. Ami de Philippe, André Moreau jure de le venger. En attendant, il se dissimule dans une troupe de théâtre et obtient du succès sous le masque de Scaramouche.
Cette histoire permet de rendre un hommage appuyé au milieu des comédiens ambulants. Les scènes de représentations théâtrales sont nombreuses, franchement drôles, et permettent de rythmer le film en instaurant une alternance entre action dramatique et humour scénique.
Car l'humour est très présent tout au long du film. Outre les scènes théâtrales, il se retrouve aussi dans les dialogues, toujours vifs et bien écrits.


Si l'action s'invite sur la scène théâtrale, il est intéressant de constater aussi que les procédés du théâtre s'appliquent dans l'action du film. Ainsi, chaque personnage joue un rôle : Maynes cache sa noirceur sous les attraits de la noblesse et de la courtoisie la plus fine ; Aline de Gavrillac joue les ingénues alors qu'elle est loin d'être innocente ; et Moreau se cache sous le masque d'un acteur. Les costumes jouent un rôle capital dans le film : ils masquent ou révèlent les personnages.
Mais le plus intéressant, c'est de voir comment la réalisation de George Sidney découpe des cadres qui sont autant de scènes ou d'écrans où se déroule l'action. Les portes, les fenêtres, les murs ou les piliers délimitent un espace qui agit comme une scène de théâtre (voir par exemple comment est montré le duel entre Philippe et Maynes, au second plan et à travers l'encadrement d'une porte, comme si nous assistions à un spectacle ; de même pour les duels de Moreau devenu député). Ainsi, au lieu d'agir dans la vie politique (qui est le domaine de l'aristocratie, donc du marquis), c'est l'acteur Moreau qui entraîne Maynes dans son univers, celui du théâtre. Les éléments théâtraux envahissent le monde.
Le procédé atteint son point culminant lors du légendaire duel final, un des plus connus et des plus longs du cinéma : sept minutes sans la moindre pause. Et ce duel se déroule dans un théâtre, dans les rangs des spectateurs, sur scène et dans les coulisses (dans cet ordre). Dans son mouvement, ce duel permet d'aller derrière le décor, au sens propre : le décor tombe, les masques tombent, et le duel prépare au dévoilement de la vérité.
Alors que George Sidney a la réputation d'être un réalisateur de second ordre, force est de constater qu'avec Scaramouche il frappe fort. Réalisé après une adaptation remarquable des Trois Mousquetaires (avec un Gene Kelly bondissant en D'Artagnan), il fait preuve ici d'un art consommé de la mise en scène. Cadrages, emploi du Technicolor, façon magnifique de filmer les combats et surtout sens du rythme à toute épreuve, il déploie toutes les qualités nécessaires pour faire de Scaramouche un modèle du genre, un des plus grands films de cape et d'épée du cinéma hollywoodien.


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SanFelice
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le 25 mars 2019

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