Sur le papier, Schizophrenia avait tout pour sentir la bobine casse gueule : son sujet, une voix off, son affiche, la traduction de son titre en français ; et surtout une réputation de film culte/coup de poing —parce que ça va, hein, on croit plus le petit garçon qui criait au loup depuis longtemps.

Sauf que 1983 c'est juste le début des années 80 et que ça sent bon la coldwave et le néon malade, le rythme hypnotique d'une BAR Roland et que Maniac est passé poser les bases d'un traitement du glauque aussi glacé que racé. Et d'ailleurs il y a une petite mélopée évocatrice, et ce point de vue en commun.

Sauf aussi que Kargl filme de façon intemporelle et libre, aérienne, dynamique, moderne, et que 1h15 qui commence par titiller la rétine et surprendre les sens ça donne l'impression que le futur c'était hier.

Putain Erwin Leder a vraiment une tête de psychotique; allure maladive, étrangeté du regard tout ça. Ça tombe bien.

Putain la voix off a des accents archi désuets, mais ça applique vite du cachet à l'ensemble et une couleur quasi documentaire qui donne dans le détachement.

D'ailleurs parlons en du détachement.

Là où Maniac versait dans le subjectif —ou le suggestif— Angst verse dans la distance, le dissociatif ; fort à propos. Kargl met de la distance par son procédé narratif, faussement intime, plutôt clinique et glaçant (voix off détachée explicative), et appuie la sensation en filmant majoritairement à distance et en plongée.

Vous saluerez au passage la variété et la qualité des travellings, des envolées de caméra et autres points de vue fixés sur l’axe du personnages (la méthode prise de vue de « J’irai dormir chez vous » très à la mode, mais avec 30 piges d’avance), ainsi que des raccords que j’ai trouvé particulièrement méticuleux.

Bien entendu, puisqu’il faut tout de même nuancer un minimum, la nature du sujet fait que le récit tourne assez vite en rond, les péripéties se voulant essentiellement démonstratives. De ce fait on comprend assez vite que la fin ne justifiera pas forcément les moyens ; il en résultera un sentiment de longueur paradoxal (1h15 je vous rappelle) et la sensation d’avoir assisté à quelque chose de finalement vain ou dénué d’intérêt intellectuel véritable, et ce malgré le savoir faire irréfutable.

Dans une moindre mesure et un registre relativement différent, c’est un peu le sentiment que j’ai exprimé au sujet de American Psycho : il n’y a rien à interpréter de la vacuité (d’un point de vue du sens et non de l’interpétation) rationnelle de ce qu’on nomme couramment la folie.

Angst constitue cependant une expérience visuelle, sensorielle et thématique qu’il serait dommage d’occulter ; bien au-delà des poncifs et donc plutôt pertinent, et plastiquement supérieur à toutes les tâcheronnades de serial killer avec esthétique pseudo-darko-tortur porn de clippeurs déchus (de merde).
real_folk_blues

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