Nous tenons de notre famille aussi bien les idées dont nous vivons que la maladie dont nous mourrons

Avant cette belle année de cinéma 2019, le séduisant et plutôt énigmatique titre "Séjour dans les Monts Fuchun" n'évoquait qu'une peinture célèbre de l'artiste chinois Huang Gongwang (1269/1354).


Aujourd'hui, on peut dire que cette appellation fait aussi référence au superbe, original et ambitieux film du débutant Xiaogang Gu. L'oeuvre de ce jeune réalisateur nous propose de suivre sur plusieurs saisons l'évolution des relations à l'intérieur d'une famille chinoise dont la première scène, celle de l'anniversaire de la matriarche septuagénaire, plante subtilement le décor. On comprend tout de suite les forces et faiblesses de chacun. Il y a quatre fils (dont 2 au centre de l'histoire, un légèrement plus en retrait et un dernier plutôt oublié) qui essayent tant bien que mal de faire survivre cette famille qui, sans être pauvre, doit faire face aux difficultés que beaucoup de citoyens de la classe moyenne dans le monde rencontrent : comment s'occuper de ses aînés sans totalement s'oublier ? Faut-il aider sa fratrie et si oui, jusqu'à quel point ?


Autres questions, plus largement propres au film : le plus immature, irresponsable et à même de tomber dans l'illégalité des différents frères est-il forcément celui qui est le plus moralement discutable ? Est-il sain et convenable de très largement orienter ses enfants dans leurs choix futurs ? Ou serait-il plus judicieux de les laisser faire leurs propres erreurs (ou possibles bon choix, juste différents) ?


Ce qui est bien avec les artistes intelligents (et c'est clairement le cas de ce réalisateur), c'est qu'ils comprennent qu'il est tout à fait possible de proposer une oeuvre sensible, riche et intense sans tomber dans le manichéisme et le schématisme un peu trop didactique. Ainsi, tous les personnages qui peuvent parfois sembler archétypaux s'affinent au fur et à mesure que le film touche à sa fin. Ils ont tous leurs moments de gloire et leurs passages moins reluisants. Plus l'épilogue approche et plus l'on comprend les agissements de chacun, les erreurs, les choix payants également et je dois dire que c'est en grande partie pour cela que j'ai hâte de voir comment ce triptyque (deux autres films doivent suivre) va s'articuler.


Parce qu'en plus de l'écriture fine et des acteurs qui assurent, le film est une splendeur visuelle qui multiplie les bonnes idées de mise en scène (des plans-séquences très inspirés, toujours, des plans d'ensemble qui permettent de suivre un dialogue tout en réinscrivant les personnages dans des décors sublimes, une science du détail pictural qui tue, ...). L'une des scènes les plus impressionnantes du film fait, à mon avis, directement référence au rouleau de peinture horizontal éponyme; elle permet également de voir le début d'une idylle de façon atypique et très inspirée.


Autre détail et pas des moindres, on voit une Chine en pleine mutation sans que l'oeuvre ne tombe dans un aspect documentaire/reportage qui ne lui conviendrait pas du tout : il s'agit seulement de voir une évolution des mœurs (la petite-fille, par exemple) ou de l'architecture avec des bâtiments détruits pour laisser place à des immeubles plus modernes. En ça, le film est aussi une oeuvre sur le temps et les cycles. Il prend son temps, laisse respirer les scènes pour nous emporter avec lui.


Et c'est sacrément réussi alors n'hésitez pas à vous laisser piéger dans une salle obscure, Séjour dans les monts Fuchun est beaucoup plus accessible que l'étiquette de film chinois intello de 2H30 ne le laisse présager.


P.S : Le titre est une citation de Proust que je trouvais bien adaptée au cas présent.

Mattchupichu77
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le 23 janv. 2020

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Mattchupichu77

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