Il n’aura pas fallu attendre longtemps avant que 2020 m’offre mon premier grand coup de cœur cinématographique. Si l’on a souvent tendance à parler des mêmes films ces derniers temps, ce Séjour dans les monts Fuchun a fait une entrée plutôt discrète en salles. La lecture de quelques avis enthousiastes avait suscité mon attention, alors que je n’étais pas spécialement dans l’optique d’en faire une de mes priorités en termes de films à voir. J’ai finalement opté pour un séjour dans ces monts Fuchun, et c’était magnifique.


Le cinéma asiatique est en vue actuellement, et le cinéma chinois, notamment, tend à se distinguer depuis quelques années, grâce à une génération de jeunes cinéastes talentueux. Bi Gan nous avait hypnotisés l’an dernier dans Un grand voyage vers la nuit, et le regretté Hu Bo nous plongeait dans un long spleen avec An Elephant Sitting Still, quand d’autres cinéastes chinois comme Diao Yinan et son Lac aux oies sauvages continuaient de confirmer. Cette nouvelle année est l’occasion pour le public français de découvrir Gu Xiaogang, un jeune cinéaste de 31 ans, qui réalise son premier film, et, à l’issue de la séance, on ne peut qu’être impressionné par le niveau de maîtrise qu’il atteint déjà ici, autant sur les plans technique et artistique. En nommant ainsi son film, le réalisateur fait référence au rouleau peint entre 1348 et 1350 par l’artiste Huang Gongwang, représentant les monts Fuchun, superbe paysage naturel qui fut un lieu de retrait où il put finir sa vie. Gu Xiaogang marche donc sur les traces de Huang Gongwang, réalisant sa propre fresque, au cinéma cette fois, dédiée à ces monts Fuchun.


Comme beaucoup de ses pairs, le cinéaste s’intéresse ici à la société chinoise, riche et vaste sujet, tant elle subit actuellement d’importants bouleversements et transformations. Séjour dans les monts Fuchun est une histoire de famille, celle d’une mère vieillissante et de ses quatre fils, tous très différents, avec leur propre famille et leur propre histoire. Après une phase d’exposition tournant autour de la fête d’anniversaire de la matriarche, le film raconte la vie de ces quatre frères et de leurs familles respectives, au fil des saisons, près des monts Fuchun. Le sujet, s’il n’est pas inédit, se retrouve ici magnifié par le traitement que lui offre Gu Xiaogang. En effet, le spectateur est rapidement saisi par la beauté des images et d’une photographie qui donne lieu à de superbes plans. Mais il ne va pas s’agir que d’une galerie de beaux tableaux qui s’enchaînent pendant deux heures trente. Dans Séjour dans les monts Fuchun, les images parlent dans un langage cinématographique infiniment poétique, faisant émaner un sentiment de sérénité et d’harmonie dans une Chine mêlant tradition et modernité, urbanisme et nature.


Le travail réalisé par Gu Xiaogang est avant tout une affaire de cadrage. Dans ses plans, la ville est souvent mêlée à la nature, les fonds bétonnés contiennent toujours de la verdure, et les grands immeubles sont écrasés par l’immense silhouette des montagnes qui se dressent à l’horizon. A plus petite échelle, les personnages principaux sont régulièrement mêlés à la foule, avançant dans des travellings et de longs plans-séquence qui les font voyager dans de véritables tableaux racontant des moments de vie, et permettant de décrire avec beaucoup d’authenticité la vie de cette ville chinoise. Rien que grâce aux images, le réalisateur nous décrit la Chine qu’il veut raconter, celle où les vies humaines s’écoulent, où la société change à une vitesse impressionnante pendant que la nature, elle, demeure. On détruit en trois jours des bâtiments où l’on a vécu pendant trente ans, mais les montagnes, elles, restent.


Quand on voit ce film, on repense à An Elephant Sitting Still, en y voyant presque le contraire de ce dernier. Quand le film de Hu Bo était empli de désespoir, de langueur et de souffrance, Séjour dans les monts Fuchun est beaucoup plus apaisé, trouvant l’harmonie plus que la décadence, sans, cependant, ignorer que la vie dans la Chine contemporaine peut être dure et injuste. Chacun a ses propres mésaventures, chacun doit affronter la réalité de la vie et du monde, pour ajouter aux paysages déjà magnifiquement illustrés des portraits très bien écrits qui permettent également de donner lieu à des moments de vie authentiques. Et si chaque personnage a son importance, cette dernière est souvent relativisée, grâce à de longs plans contemplatifs présentant ces magnifiques paysages à la beauté immuable, qui se transforment au gré des saisons. Un autre moyen, pour le cinéaste, de jouer avec les échelles, sur un aspect temporel cette fois.


Séjour dans les monts Fuchun est un film d’atmosphère, qui emporte le spectateur dans un écrin d’harmonie et de sérénité, où le temps semble se dilater, donnant l’impression d’avoir passé quatre heures dans la salle, au lieu de deux heures trente, tant les images sont belles et riches. Ce n’est pas une impression négative, bien au contraire, car on en voudrait bien encore. Et la mention « Fin du premier volet » , apparaissant à la toute fin du film, nous fait justement espérer retrouver cet univers prochainement. Dès son premier film, Gu Xiaogang réussit un véritable tour de force, et on sait que le plus dur est de confirmer. Mais nous sommes en droit, maintenant, d’espérer voir un autre grand film de la part de réalisateur, qui impressionne ici par la qualité de son travail, en dépit de son jeune âge et de sa faible expérience. Il y a bien longtemps que je n’avais pas vu quelque chose d’aussi beau que Séjour dans les monts Fuchun, et si vous en avez encore l’occasion, je ne peux que vous encourager à vous y aventurer dès que possible.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

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le 13 janv. 2020

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