[Cette chronique concerne l'ensemble des films "Senses", pensés par le réalisateur comme un film unique mais projeté en 3 parties dans les cinémas français du fait de la longueur du long-métrage.]


Bonne surprise que ce "Senses", film japonais qui nous invite à suivre quatre jeunes femmes, amies de longue date, dans leurs vies professionnelles et intimes.
Véritable oeuvre psycho-sociologique, le film explore les scléroses et les névroses de la société nippone, fondée sur une domination patriarcale évidente, qui oblige les ressentiments et les frustrations à exploser violemment, après s'être cachés derrière un voile de politesse et de pudeur pendant trop longtemps.
Les acteurs (et surtout les actrices) sont excellents, et le spectateur se surprend à déceler les véritables émotions des personnages, malgré la froideur apparente des rapports humains et des conversations.
C'est d'ailleurs peut-être ici que le cinéphile européen que je suis se retrouve un peu égaré: une connaissance approfondie de la société japonaise semble nécessaire à la pleine compréhension de certains enjeux dramatiques, de certaines réactions. Car ce film est avant tout un film sur le regard (pour reprendre la thématique des cinq sens): le regard que portent les hommes sur leurs épouses, le regard plein de jugements que les femmes portent les unes sur les autres, le regard qu'un artiste porte sur les conventions... Tout tourne alors autour des tabous, des limites infranchissables (ou pas ?), des normes qui peuvent être respectées ou brisées. Ainsi, l'ignorance des us japonais, de la psyché collective nippone, constitue un obstacle à la pleine compréhension de ce qui est engagé à travers une simple conversation, en apparence polie et pacifiée.
L'écoute occupe aussi une place prédominante. Les personnages sont amenés à exposer leurs sentiments et réactions à travers de longs tours de table aussi touchants que lassants, par moments.
Au niveau de l'écriture, on peut regretter certaines longueurs, des scènes qui s'étirent inutilement à grand renfort de plans fixes (sans doute pour donner un aperçu du malaise réel vécu par les personnages), surtout dans le second segment. La scène de la "lecture" et les longues conversations à table sont des exemples éloquents de ce "trop plein" de naturalisme.
Ceci étant dit, l'écriture reste de très bonne qualité, avec une évolution psychologique des personnages minutieuse et cohérente.
La réalisation alterne entre les environnement froids couplés à des situations graves (les nombreuses discussions autour d'une table) et les envolées colorées, presque surréalistes (la scène du bar/night-club, qui détonne totalement avec l'atmosphère visuelle et sensorielle du long-métrage)
Le film se permet peu d' "écarts", de véritables moments "WTF", mais quand il le fait... Le "débat" autour de la lecture dans le centre d'art contemporain est un pur moment de malaise jouissif, et le personnage de l'artiste au comportement impulsif et en apparence inexplicable est à la fois touchant et incroyablement drôle.
Et ces moments ne sont jamais gratuits car "Senses" entend rendre compte de la vie quotidienne des personnages dans leurs extrêmes, qu'ils soient dans la retenue ou dans la démonstration la plus saugrenue.
La fin du film laisse une sensation douce-amère en bouche. Une par une, les protagonistes se sont émancipées, parfois dans la violence, morale et presque physique (face au tribunal pour obtenir le divorce), parfois en laissant simplement libre cours à des passions enfouies pour exorciser les frustrations (la tromperie, les boîtes de nuit), parfois de manière calme et réfléchie (la demande de divorce finale). Mais aucune d'elle ne semble avoir véritablement trouvé sa place. Les décisions sont prises conformément aux "senses", certes, mais toujours sous le regard pesant que les amies, devenues "rivales" dans leur quête du bonheur et de l'acceptation, s'imposent les unes aux autres.
En bref, "Senses" fait figure de longue thérapie de groupe, aussi bien pour les personnages que pour le spectateur, parfois longuette et bavarde, mais terriblement juste et subtile, belle et profonde.

Mr_Step
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le 24 mai 2018

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