"I'll make you two promises: a very good steak, medium rare, and the truth, which is very rare."

Le dispositif relativement minimaliste de Sept jours en mai qui joue la carte de la succession de huis-clos anxiogènes dans un contexte militaire tendu convoque quelques figures tutélaires du genre, somme toute assez intimidantes, comme Point Limite / "Fail-Safe" chez Lumet ou Docteur Folamour chez Kubrick. Ces deux références, dans des styles sensiblement différents, sont toutes deux sorties la même année que cette deuxième incursion de la part de John Frankenheimer du côté de l'anticipation politique, deux ans après Un crime dans la tête. Ce cru 1964 est intéressant à plus d'un titre, du point de vue de ce que le film parvient à développer en matière de tension à caractère paranoïaque mais également par rapport à ce qu'il raconte, indirectement, du contexte relatif à l'époque de sa production. Le climat de guerre froide aux États-Unis, avec tout ce que cela suppose en matière de maccarthysme, de complot à déjouer et de danger nucléaire, donnait visiblement beaucoup de carburant à la production cinématographique du milieu des années 60.


Si l'on met de côté la figure du président reclus dans la Maison-Blanche, le film tient essentiellement sur l'opposition morale de deux militaires : Burt Lancaster et Kirk Douglas. Deux monstres qui bouffent l'écran sans trop forcer, et deux conceptions antagoniques très tranchées de la chose militaire, par-delà leurs points communs non-négligeables (aucun des deux, dans le fond, n'apprécie la position pacifiste du président face à la menace rouge) : il y a celui qui emploiera tous les moyens, légaux ou non, pour arriver aux fins qu'il juge nécessaires, et il y a celui qui ne peut raisonner autrement qu'en les circonscrivant au cadre institutionnel imposé par la démocratie. On a droit à ce titre à des couches et des couches de déclarations et autres monologues ayant trait à la grandeur de la pratique démocratique sur le continent américain, des valeurs saintes et supérieures qu'il faut à tout prix protéger, à tel point que certains discours du président flirtent dangereusement avec la caricature. Ce crescendo moral se fait de plus en plus pesant, et la manœuvre peut s'avérer déroutante car le final, au terme d'un ultime sermon, tombe vraiment comme un cheveu sur la soupe.


Pour le reste, cette politique-fiction (qui place l'action 15 ans après sa sortie seulement) donne un aperçu intéressant de l'atmosphère qui devait alors régner, contaminée par l'insécurité paranoïaque ressentie vis-à-vis de la menace communiste et gangrénée par des dissensions sur les excursions guerrières (au Vietnam, par exemple). L'essentiel du message est communiqué deux heures durant à travers des discours dans des bureaux, si l'on omet la petite séquence de 3 minutes labellisée "action / aventure" à bord d'un mini buggy-tank dans les dunes de sable près d'une base militaire secrète. Certains symboles et artéfacts scénaristiques paraissent tout de même bien grossiers vus d'aujourd'hui, avec notamment cette boîte à cigarettes contenant la lettre d'aveux tant convoitée que l'on retrouvera à un moment trop opportun, au milieu de la carlingue en miettes d'un avion écrasé. Mais la sécheresse du ton et la tension du conflit dominent largement tous ces petits obstacles.


http://je-mattarde.com/index.php?post/Sept-jours-en-mai-de-John-Frankenheimer-1964

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le 20 févr. 2020

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Morrinson

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