SERGIO & SERGEI (14,4) (Ernesto Daranas Serrano, CUB/ESP/USA, 2017, 93min) :


Sergio & Sergei offre une délicieuse farce nostalgique sur les illusions perdues du communisme, à travers une amitié improbable entre un cosmonaute soviétique bloqué dans l'espace et un professeur cubain, grâce à des émetteurs d'ondes radioélectriques en 1991.


Découvert en France en 2015 avec le touchant Chala, une enfance cubaine, le talentueux réalisateur cubain s'appuie cette fois-ci sur une histoire vraie pour nourrir son troisième long métrage de fiction Sergio & Sergei (Prix du Public au Cinelatino de Toulouse en 2018). L'auteur s'inspire de l'aventure réelle de Sergei Krikalev, un cosmonaute resté bloqué onze mois à bord de la station orbitale Mir qui est rentré en contact avec des radioamateurs d l'île de Cuba, alors qu'en 1991 les transformations politiques bouleversent leurs pays respectifs. Cette aventure extraordinaire avait déjà vu jour sous la forme d'un passionnant documentaire Out of the Present (1997) réalisé par Andrei Ujica, mais Ernesto Daranas Serrano s'en empare avec poésie pour nous offrir une fable humaniste.


Une succession judicieuse d'images d'archives inaugure le long métrage et plonge directement le spectateur dans l'épopée spatiale soviétique, avant qu'une douce voix vienne nous immerger avec bienveillance au sein de l'histoire. Ce récit nous sera conté avec un brin d'ironie par le point de vue de Mariana la fille de Sergio, professeur de philosophie marxiste (diplôme obtenu à Moscou) vivant de façon précaire au dernier étage d'un vieil immeuble avec sa mère et sa fille. Nous sommes en 1991 à la Havane, capitale et centre économique de l'île de Cuba, et le bloc de l'U.R.S.S se décompose de plus en plus, depuis la chute du "mur de la honte" à Berlin le 9 novembre 1989. Cet effondrement de l'union des républiques socialistes soviétiques engendre une importante crise économique et idéologique à Cuba et une grave crise politique en U.R.S.S. Ces évènements vont bouleverser le destin de plusieurs hommes et la caméra fluide du réalisateur va accompagner ces petites histoires par le prisme des dommages collatéraux provoqués la grande Histoire.


Cette comédie absurde va donc suivre plus particulièrement la mésaventure de Sergei bloqué dans l'espace au sein d'une station Mir défectueuse par la faute de moyens économiques et de nombreux soubresauts politiques vécus la Russie à cette période pour le faire revenir de suite sur Terre et les difficultés de vie de Sergio ne pouvant plus donner assez des cours de marxisme à l'université. Deux pères de famille, deux naufragés se retrouvant coupés du monde depuis que le système s'effondre sous leurs pieds. Pour oublier les privations alimentaires, les difficultés économiques, les coupures d'électricité, Sergio s'évade en regardant vers le ciel depuis le toit de son immeuble, en songeant au petit prince de l'espace qu'il espère voir un jour en point de mire et se passionne pour les communications avec d'autres radioamateurs. Sergei lui, observe par le hublot la Terre en rêvant de s'échapper bientôt de sa prison spatiale pour retrouver sa femme et ses enfants et communique par onde radioélectrique, lien unique pour le sortir de son isolement. Deux regards, deux voix qui vont se croiser sur une même voie d'évasion.


Le réalisateur s'attache à décrire ces deux quotidiens en parallèle avec empathie. Les difficultés de Sergio ne sont jamais plombés par la mise en scène, car la caméra fluide nous dépeint à travers de magnifiques plans aériens la ville de la Havane délabrée, mais toujours gorgée de luminosité solaire et de couleurs vives mais également avec élégance et humour le quotidien de Sergio obligé pour survivre avec le marché noir en installant une distillerie clandestine sous son toit, pendant que sa mère se remet à la fabrication de cigares. La réalisation s'appuie sur cet aspect d'apesanteur pour évoquer avec poésie la purge de Sergei, presque condamné à l'oubli au fin fond de la galaxie, alors qu'en bas les drapeaux changent. Jusqu'au jour où son cloître par le bonheur divin des ondes va émettre une voix perçue de la profondeur de l'autel de la Havane. Deux voix, deux hommes de bonnes fois vont par le truchement d'une technologie en plein développement finir par s'entendre, avant que les deux âmes fraternelles finissent par se découvrir, se reconnaître en l'autre au fil des discussions, s'apprécier comme de bons vieux camarades avant qu'ensuite ces ondes s'avèrent salvatrices... Ernesto Daranas Serrano aborde cette crise sociale et politique avec le sourire, loin du militantisme, et s'autorise même l'introduction d'un secondaire personnage américain, devenu ami avec Sergio par les mêmes ondes radiophoniques. Ce troisième homme apporte un point de vue étranger en pleine "Guerre Froide" et permet au cinéaste de mieux pointer du doigt le système politique cubain anxiogène et ses autorités qui surveillent de manière grotesque toutes les communications radios entre les individus.


Avec légèreté, bonne musique, et générosité narrative, le brillant réalisateur déploie à un rythme propice, une sincère ode à la fraternité qui dépasse toutes les frontières géographiques, politiques, culturelles. Une originale fiction à l'esthétique soignée qui nous fait du bien à l'heure où de grands dirigeants ne voient l'autre qu'à travers des murs, où des frontières fermées, une attachante allégorique cinématographique dont l'utopie chorale résonne avec fraîcheur dans nos cœurs et rassérènent nos idéaux perdus. Venez découvrir cette atypique histoire vraie dont le traitement fictionnel renforce le symbole moral au sein de l'épatant Sergio & Sergei. Solidaire. Humaniste. Séduisant.

seb2046
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le 25 mars 2019

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