Patrick Dewaere est un acteur dont j’ai beaucoup entendu parler, connu pour son talent bien sûr, et pour sa disparition tragique et prématurée, faisant de lui une sorte d’étoile filante du cinéma français, qui aurait pu briller encore longtemps. Faute d’avoir eu l’occasion de déjà connaître les films dans lesquels il a joué, j’ai choisi de commencer par Série Noire, film noir français réalisé par Alain Corneau et sorti en 1979.


Série Noire est un film assez singulier, il est de ces films qui dérangent, mais qui, en même temps, interrogent. Franck Poupart, ce commercial au verbe fantasque, entraînant par sa personnalité attachante et exubérante, est le principal rouage de cette absurdité sociale totalement irrationnelle. Clairement, Série Noire n’est pas un film à prendre au premier degré. Bien entendu, son intrigue lui donne l’aspect d’un film noir, exposant des individus généralement fragiles à la cruauté de la société, et les réduisant souvent aux pires bassesses. Toutefois, la démarche de ce film relève davantage d’une vaste allégorie absurde où les agissements des protagonistes ne font plus véritablement sens, du moins, pas en apparence.


Coïncidence ou non, Bertrand Blier sortait la même année son Buffet Froid, film auquel je trouve beaucoup de points communs avec Série Noire. On y retrouve la même absurdité dans les situations et dans les agissements des personnages, une absurdité qui peut dérouter, mais qui se justifie par le grotesque que le film cherche à soulever quant au fonctionnement d’une société hypocrite, imprévisible et impitoyable. Comme Buffet Froid, Série Noire est très minimaliste, ne se focalisant que sur un petit groupe de personnages, créant une sorte de sentiment d’enfermement malsain qui étouffe encore plus le spectateur, embarqué dans cette sordide histoire dont un dénouement heureux semble impossible.


L’irrationnel est quelque chose d’inhérent à l’humain. On aurait tendance à penser que les agissements des personnages sont totalement absurdes, illogiques voire stupides, mais le contexte de l’intrigue est tout à fait propice à ce type de situation. Il paraît tout à fait logique que, face à l’urgence, au besoin, ou à la tentation, le discernement se substitue à une forme de folie passagère qui envahit n’importe quel quidam, y compris ce malheureux Franck Poupart, semblant toujours maître de son plan bien rodé et, pourtant, première victime de ce dernier, ne faisant que s’enfoncer davantage dans une spirale infernale. C’est dans cette veine, donc, que s’inscrit la démarche d’Alain Corneau avec son Série Noire, dans cette ambiance anxiogène, ces dialogues décousus et avec ces personnages au bord de la rupture.


Irrationnel mais jamais illogique, absurde mais jamais stupide, Série Noire est un film déconcertant, une invitation à une descente aux Enfers où l’espoir de sortie s’éloigne à chaque décision. Patrick Dewaere irradie le film par sa présence, oscillant entre le dramatique et le comique, cristallisant tous les vices d’une société qui l’écrase. L’homme, cherchant une vie rangée et sans histoires, doit prendre des risques, veut rendre justice, mais ne peut que se résigner face aux maux latents qui l’entourent. Alain Corneau, ici, cherche davantage à faire ressentir, à ne pas être dans l’évidence, et à plus être dans la suggestion et l’impression pour faire de Série Noire un film noir au style tout à fait particulier.

JKDZ29
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le 30 avr. 2018

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JKDZ29

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