Ce de quoi t’es fait tu ne peux pas le fuir

Ayant l'honneur d'inaugurer la sélection Cannes Première du festival de Cannes 2021, Serre moi fort signe le retour de Mathieu Amalric en tant que réalisateur quatre ans après son précédent long-métrage. Ce synopsis elliptique "Ça semble être l'histoire d'une femme qui s'en va" avait de quoi intriguer, en particulier lorsque l'on ne connaît pas le réalisateur. Je connaissais l'homme en tant qu'acteur pour ses rôles dans le Munich de Spielberg ou le J'accuse de Polanski mais je n'avais jamais vu de films qu'il a réalisés. M'attendant au pire suite au visionnage de la bande-annonce, j'ai été finalement surpris de voir que l'heure et demie est passée rapidement. Cependant et malgré des qualités, je suis sorti de la salle avec la sensation d'être passé à côté de la proposition.


Attention spoilers


J'ai pour habitude de ne pas lire ou regarder les critiques avant de voir un film au cinéma et de rédiger mon propre avis afin d'éviter de me créer certaines attentes ou d'être influencé sur ce que je pense ou ce que je pourrais dire du film. En raison des conditions dans lesquelles j'ai vu le film, j'ai été confronté à l'opinion de celles et ceux qui m'accompagnaient. Je dois avouer que ça a été enrichissant, d'un côté sûrement, mais surtout perturbant puisque je me suis rendu compte de quelque chose: je n'ai pas saisi toute l'intrigue. Le réalisateur a adopté un style non-linéaire qui privilégie souvent l'implicite à l'explicite, ce qui a de quoi déconcerter le spectateur. Ce montage parallèle qui joue donc sur deux temporalités différentes causent quelques soucis au niveau du suivi de l'histoire, je dois avouer que j'étais perdu durant quelques scènes. Cela dit si mes soucis de compréhension s'arrêtaient là, je n'aurais pas considéré cela comme un point négatif.


Malheureusement la révélation finale remet en cause tout ce qu'on vient de voir et j'avais à l'idée que cette mère, Clarisse, a abandonné sa famille puis est partie à sa recherche quelques années plus tard avant de découvrir que son mari et ses deux enfants sont décédés. Ce qui posait un problème majeur concernant l'attachement qu'on avait au personnage principal, qui a envie d'éprouver de l'empathie pour une mère qui laisse ses enfants et leur père à l'abandon. Suite à des discussions, j'ai découvert qu'ils avaient tous interprété le film différemment: Clarisse a subi le décès de sa famille et imagine ainsi cette dernière tout en suivant la mauvaise personne. En effet avec cette vision le film se voit plus comme une œuvre sur le deuil avec des émotions qui fonctionnent davantage. J'arrive à concevoir cette interprétation néanmoins le montage ou tout simplement le fait de séparer la mère du reste de la famille nous mettent clairement sur l'autre piste.


Mon principal problème avant toute chose c'est que le deuil est un thème désormais peu original alors que l'idée de l'abandon maternelle qui affecte profondément la famille se voit moins. Ensuite les idées de mise en scène telles que cette séquence surprenante filmée en caméra-épaule un peu tremblante et parsemée de zooms sauvages prennent plus d'ampleur avec l'idée que j'avais du film à la base. La réalisation de cette dite séquence fait très vidéo souvenirs, ajouté à ça la voix-off de la mère absente qui s'adresse au père semblant parler tout seul, ça a plus d'impact avec le message d'abandon puisqu'on ressent beaucoup l'absence de la mère. Le traitement des enfants apparaît également plus malin dans le cas où la mère les a abandonnés: Lucie, sa fille, en quête d'identité puis qui livre une sorte de guerre avec son frère lors d'une séquence à l'atmosphère lourde seraient de vrais éléments qui témoigneraient de la difficulté d'être éduqué sans mère. Seul le plan d'introduction, avec ces photos de souvenirs filmées en plongée rappelant le début de Cléo de 5 à 7, la mère qui met tout dans le désordre en voulant recommencer est une symbolique qui fonctionne aussi bien avec l'idée du deuil qu'avec l'idée de l'abandon. Tout comme seuls les quelques plans d'ensemble mettant en valeur la solitude de Clarisse sont pleinement en accord avec le thème du deuil.


Ce dont je suis certain en revanche, c'est que sur une question purement technique et esthétique le film est réussi. La photographie sombre et la gestion des teintes marrons, oranges, jaunes et bleues sont exquises. Certains plans arrivent même à sortir du lot, je pense notamment à un plan d'ensemble au début qui met côte-à-côte deux pièces, une lumineuse et une sombre, sûrement pour présenter dès le début le fait qu'on va suivre deux points de vue différents au delà de la beauté que crée ce contraste. Au début également, le passage dans lequel Clarisse s'en va, la lumière jaune qui s'oppose aux couleurs plus verdâtres de l'environnement donne un splendide résultat. Il est en de même pour la contre-plongée à travers le pare brise d'une voiture filmant le visage de Clarisse entouré de neige, c'est un angle très beau en plus d'annoncer la mort de la famille, ensevelie sous la neige, puisque le film enchaîne avec une séquence à propos du reste de la famille. Il me semble important aussi de noter tout le travail sur les raccords, les transitions entre les points de vue et surtout le montage sonore. À plusieurs moments les sons diégétiques deviennent extradiégétiques comme si le son ne voulait pas être abandonné à l'instar de la famille. Entre ce métrage et le récent Boîte Noire de Yann Gozlan, c'est très plaisant de voir que les cinéastes français s'amusent à traiter le son de manière importante.


Pour accompagner le tout, le metteur en scène et scénariste a superbement choisi ses comédiens. Vicky Krieps, déjà à l'œuvre dans deux films cette année, le film de M. Night Shyamalan Old et le thriller Beckett pour Netflix, joue très bien ce rôle de la mère perdue, à la limite de la folie, elle arrive à mettre de l'émotion dans son jeu mais en toute honnêteté elle ne m'a pas touché plus que cela, c'était déjà le cas dans les deux films cités plus haut. Le reste du casting fait très bien son travail, mention spéciale aux enfants/adolescents dont c'est le premier rôle, ce n'est pas toujours facile de faire ce qui leur est demandé et le résultat n'est pas toujours bon, ici il l'est il n'y a rien à redire. Par ailleurs, argument totalement superficiel certes, le film a été tourné à Rochefort, Niort et La Rochelle, il est très réjouissant de reconnaître certains lieux, ça n'arrive pas souvent.


Pour conclure sur cette œuvre, l'ambiguïté sur le fond m'a perturbé, m'a donné le sentiment de rater quelque chose et m'a donc laissé un goût amer. Si l'interprétation est subjective, je trouve en revanche que la construction est délibérément complexe pour pas grand chose. J'ajouterai également que le concept lasse dû à un manque de renouvellement pour relancer l'intérêt, ceci étant on le comprend rapidement, c'est un bon point. Formellement parlant c'est très agréable à voir et les quelques bonnes idées de mise en scène sont intéressantes, la vraie force du film réside selon moi là-dedans. En somme Serre moi fort est une œuvre qui possède de vraies qualités, inopportunément entachées par des soucis de compréhension me laissant le sentiment d'être passé à côté.

BestPanther
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le 17 sept. 2021

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