Chuck Noland est ingénieur d'exploitation de systèmes à Fédéral Express, sa vie est gérée par la montre et rien n'est laissé au hasard, mais tout va changer le jour où son avion s'écrase en plein pacifique et dont il ressort seul survivant. Échoué sur une île, Chuck va ré-apprendre à vivre, s'adapter à son nouvel environnement de manière fataliste et accepter son nouveau sort.
Zemeckis reprend l'histoire d'Edgard Poe avec son Robinson Crusoé et le transpose à notre société contemporaine, il choisit un personnage symbole d'un mode de vie actuel basé sur l'obsession du temps et du résultat. Car 281 ans après Poe, le contexte a beaucoup changé, si Crusoé avait son vendredi, Noland a son Wilson et la lente évolution psychologique du personnage d'autant plus singulière qu'elle est liée à une belle histoire d'amour, là ou Crusoé n'avait personne..
De ce fait l'île peut être vu comme une métaphore du genre humain, une remise en question existentialiste d'autant plus renforcé par le caractère planifié et contrôlé de notre mode de vie actuel. Une modernité qui combat l'imprévue et le manque, toujours plus satisfait, toujours plus programmé, un bouleversement ( spectaculaire crash aérien ) qui revient aux origines de l'être humain, parfaite antithèse d'un monde excessif et insatisfait. Et paradoxalement si la partie sur l'île est absente en dialogues durant une bonne heure, on ne s'ennuie jamais, et c'est là le tour de force de Zemeckis : faire passer la survie de cet unique rescapé pour un inoubliable moment de cinéma. On souffre avec lui, on a peur avec lui, on espère, on déprime, une empathie totale qui nous projette littéralement sur ce bout d'îlot infernal.
Six ans après « Forrest Gump », « Seul au monde » représente la deuxième collaboration Zemeckis/Tom Hanks, car après lui avoir offert le rôle qui le consacra aux Oscars en 94, le réalisateur remet ça et lui fournit un nouveau personnage à sa mesure. Et Tom Hanks lui rend bien car il est tout simplement magistral, rare performance d'acteur n'aura mis autant de monde d'accord, il est de chaque scène et traverse le film décidé à nous couper le souffle. L'un des plus beaux rôles de sa carrière assurément pour lequel il perdit plus de 20 kg, une interprétation physique autant que mental, bluffant.
Autant de facteurs qui font de ce film une oeuvre très psychologique : de l'évolution mental face à l'adversité à la réaction physiologique envers la solitude, Zemeckis en joue et met en scène la folie d'un homme tourmenté amené à s'inventer un compagnon imaginaire. Car « Seul au monde » est avant tout une histoire d'amour, un film traversé par le besoin affectif, que ce soit pour une femme ou pour un simple ballon de volley. Et c'est d'ailleurs ce qui fait tenir chaque personnage, une vision de la vie qui n'a de sens que partagée, Zemechis film la solitude d'un personnage qui l'a fuit.
Si le film est chargé d'autant d'émotions, c'est qu'il est bien aidé par la sublime bande son de Alan Silvestri (Retour vers le futur) et la photographie de Don Burgess, une équipe au top qui fait de ce spectacle un émerveillement pour les yeux : jeux de lumières, paysages, décors, mise en scène, un tournage difficile ( étalé sur 2 ans dont 8 mois de pause, le temps pour Tom Hanks de perdre du poids et pour Zemeckis de réaliser Apparences ), conditions compliquées qui n'ont de mérite que son résultat.
Le cinéaste signe là un grand film, époustouflant de dramaturgie et habité d'une intensité sans égal dont Tom Hanks en est le joyaux. Sa seule performance justifie de voir Seul au monde, incroyable histoire humaine dont nul ne réchappe indemne, on ressort bouleversé par autant d'émotions, un chef d'oeuvre.