Surpris et un peu dépité par certaines lectures morales de ce film, que j’ai vu pour ma part précisément comme une façon de dire merde au moralisme bourgeois. A mon avis, introduire ici de la morale et esquiver l’empathie à laquelle tout le film invite, c’est rester en dehors de l’histoire et en dehors du personnage.
La bourgeoisie et ses affiliés s’offusqueront de la haine amassée par ce beauf ultime et pourront se convaincre un peu plus de la sauvagerie naturelle des prolos. On a bien vu que toute l’entreprise de délégitimation des revendications des Gilets jaunes avait comme arme principale la violence du mouvement. Ce film, que je ne crois pas du tout militant (pas le genre de Gaspar Noé), a le mérite de montrer la violence comme le fruit d’un cheminement social et comme la seule force des déclassés. Boucher perd tout, ses parents, puis son taf, puis sa « valeur » sociale, puis sa femme, son gosse, son toit. Il lui reste une seule chose : le flingue qu’il a volé à sa belle-mère. C'est la violence qui le protège, et qui le condamne aussi. Mais Boucher en a plein le cul et il a choisi de creuser dans la merde, comme il le dit.
En fait, la violence n’est pas exactement la seule force des déclassés comme je viens de le prétendre. Leur première force est leur nombre. Mais ici, le monde entier est hostile et Boucher lui-même n’aime personne. D’ailleurs, lui qui pensait d’abord réserver ses balles à ce patron qui l’a traité comme une merde, il essaie finalement de les tirer sur un patron de bistrot – trop arabe, ou trop portugais, en tout cas déjà trop patron pour lui, puisqu'il a quelque chose à défendre.
Boucher déteste tout parce qu’on ne le laisse rien aimer. Il ne cède nulle part au nihilisme ; même quand il s’imagine violer puis tuer sa fille muette, il espère encore appartenir au camp du bien. La dernière scène du film à cet égard est bouleversante de tendresse. Boucher n’attendait que ça. On ne se réfugie dans la violence et la haine que parce qu’on n’a pas trouvé de refuge plus confortable. Certes, il n’est pas innocent, il le dit lui-même : « les erreurs, on ne les rattrape pas, on les additionne ». Et il ira jusqu’à commettre celle que le film ne laisse pas voir, mais que Boucher nous laisse imaginer dans une ultime confession :
« De toute façon, qu'on le fasse ou pas, ça changera pas le cours de l'humanité. Et pour toi et pour moi ça changera tout. Les gens croient qu'ils sont libres ? Mais la liberté ça n’existe pas. Il n’y a que des lois, que les inconnus ont fabriquées pour leur bien, et qui, moi, me verrouillent dans mon malheur. Et parmi ces lois, il y en a une qui dit que je ne dois pas t’aimer, parce que tu es ma fille. Et pourquoi ? Si cet amour on nous l’interdit, ce n’est sûrement pas parce que c’est mal, mais parce que c’est trop puissant. Mais dans notre cas, je ne vois que ça. Je t’aime. Un point c’est tout.»